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Daniel Boulanger et la comédie

Daniel Boulanger et la comédie

En 1963, le scénariste et dialoguiste Daniel Boulanger explique sa conception de la comédie au magazine Présence du cinéma, et parle de Cartouche et du sketch La Gourmandise, dans le film Les Sept péchés capitaux, réalisés par Philippe de Broca.

Écrire un scénario est un moyen de rentrer dans la vie publique. Dès lors mieux vaut avoir décidé de faire rire les gens. Les bourreaux meurent aussi (de Fritz Lang) est un excellent film mais, sur un sujet assez proche, To Be or Not to Be (de Ernst Lubitsch) représente mieux ce que je voudrais faire. J’exècre les films sur la guerre ou sur les camps de concentration parce qu’on ne pourra jamais y atteindre la vérité des bandes d’actualités. Il y a là de l’escroquerie, de l’irrespect et du douteux. En fait, la plus grande morale est de faire passer bien leur temps aux gens qui sont vos contemporains. Je crois à cela avec d’autant plus de force que j’ai été au séminaire. Les pitres sont les vrais moralistes.

Ce que j’aime dans un dialogue de comédie, c’est d’y introduire aussi des phrases curieuses et fortes que j’ai pu entendre la veille ou il y a dix ans. Un dialogue ne peut prendre de valeur que situé très près de la réalité, dans l’expression la plus rapide. Dans Cartouche, il y a deux ou trois passages où, très discrètement et sans interrompre la comédie, quelque chose d’un peu grave est dit. Celui qui voudra l’entendre l’entendra, les autres passeront outre. Toujours divertir, parfois faire peur. J’aime beaucoup les ellipses. Deux types sont en train de se saouler joyeusement. L’un des deux, très vite, va parler de son foie, puis de sa vie, puis de sa femme. Et l’on va découvrir sa vie personnelle qui est horrible. A la bonne vôtre !

En dehors de la farce, le sentiment de l’aventure ! Ne pas savoir où l’on va et surtout s’en moquer. De toute façon, on va au trou. Je traverse l’océan, je vais aux Indes. Je voulais trouver de l’or et je ramène des écailles de tortue. Ça ne fait rien, je reste libre et joyeux. Cartouche a commis tous les crimes. Ses amis lui conseillent : arrête-toi. Il s’en moque et se fait prendre. Cartouche a été torturé de façon terrible mais n’a pas parlé. Quand il a su qu’il allait mourir, il a réclamé les meilleurs vins et un repas. À ce moment là seulement, il a donné les noms de ses anciens compagnons, de ce qui n’avaient pas réussi à venir le délivrer. Sous des aspects séduisants, Cartouche est très cruel et très amoral. Je voulais qu’à chaque instant cette histoire reste plaisante, et soit aussi abominable qu’un burlesque. Parce que mon désir est de faire un burlesque. Exemple qui m’est arrivé, d’ailleurs : un ami s’approche de moi de façon charmante : « Mon vieux, vous ne devriez pas, il faut faire attention, la morale voudrait…. » Je baisse les yeux et je vois que son pantalon est plein de foutre.

J’ai envie d’écrire une pièce, drôle et tragique. L’histoire d’un type qui n’entend rien et qui dirige tout. On m’a dit que c’était gaspiller la réalité ! Ça tombe à pic, je vais appeler ça : gaspillage. Je suis las d’entendre les gens de cinéma prétendre : je connais le public. Et réécrire à chaque fois de maigres histoires d’adultère. Alors que pour exprimer une époque aussi inouïe il faudrait tout faire tourner au burlesque. Quittons les Champs-Élysées, allons par exemple dans les cinémas près de la Porte Saint-Martin. On peut, de la salle même, entendre d’incroyables dialogues (par exemple, j’adore celui qui peut se dire entre une pipeuse et le client mécontent qui refuse de payer. Le type sort et se fait matraquer dans une manifestation politique).

Si vous voulez, parlons de La Gourmandise. Je connais un énorme goinfre qui a une fille, charcutière à La Rochelle. Très souvent, il prend sa voiture et va la voir accompagné de sa mère et de sa femme qui sont sourdes. Il y a de gigantesques préparatifs pour confectionner des paniers pleins de victuailles pour la route. C’est la base réelle de mon histoire. J’imagine alors que le père crève en bouffant. Il avait l’habitude de ramasser des escargots dans le cimetière. En définitive, je ne vois pas pourquoi on devrait se prendre la tête dans les mains, et jouer les grands prêtres. Les choses sont beaucoup plus simples.


« Cartouche » vu par Philippe de Broca

« Cartouche » vu par Philippe de Broca

Dans le manuel de publicité du film destiné aux exploitants de salles,
le cinéaste propose une note d’intention.

« Cartouche est pour moi un retour au cinéma-spectacle, c’est-à-dire au cinéma fait pour distraire et non pour apporter un message ou créer de nouvelles formules. Au contraire, Daniel Boulanger et moi, nous nous sommes efforcés dans le scénario d’accumuler tous les poncifs du genre, dans les personnages et aussi dans les situations. Nous avons du reste procédé de la manière suivante pour bâtir le scénario. Nous avons imaginé le héros, le traître, la belle fille, etc… dans toutes les situations possibles : un peu de comédie, un peu de drame, un peu de burlesque, un peu de suspense, du sentimental. On mélange… On arrange… On secoue… On découpe… et on arrive à l’histoire qui permet de réunir tous ces éléments.

Et pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir fait un film qui ressemble assez au spectacle de cirque ou du vieux théâtre, où l’on vous annonce à « coup de tambour »… Du rire et des larmes… de la joie, des frissons, de l’amour…. Entrez… Entrez !

En donnant à tout cela un climat anarchique et parfaitement amoral, on évite de sombrer dans la leçon de morale bêtasse. Il faut bien dire que tout ce que je raconte là n’a pas d’intérêt. Il vaut mieux voir le film et il n’y a aucune explication à donner de surcroît. C’est précisément le type de film où il n’y a rien que les gens ne voient immédiatement. Il n’y a pas de message caché.

Pourquoi avoir fait Cartouche ? M’a-t-on demandé. Parce ce que j’ai été payé pour le faire. Je fais du cinéma par plaisir, pour faire plaisir aux autres et surtout pour gagner ma vie. Voilà ! »


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