Les Jeux de l’amour
par Françoise Sagan

En 1960, la romancière publie dans L’Express la critique du premier film de Philippe de Broca.

Une jeune fille charmante vit avec un jeune homme charmant, dans un magasin charmant, depuis deux années qu’on peut supposer avoir été charmantes. Elle voudrait contracter avec lui un charmant mariage en vue d’avoir des bambins charmant, situation définitive à laquelle le charmant amant répugne. Avec l’aide d’un charmant ami, mi-repoussoir mi-hameçon, elle parviendra à ses fins pour sa plus grande satisfaction et pour celle du spectateur charmé.

Ce film est joué par Geneviève Cluny, charmante, et Jean-Pierre Cassel, bien mieux que charmant grâce à quelque chose dans l’œil qui en a déjà fait ou en fera un merveilleux acteur.

Bref, voici un film gai, charmant – je l’ai déjà dit – et sans prétention. Pour ma part, je n’aime pas beaucoup les films sans prétention. Le cinéma m’apparaît comme une flèche prodigieuse destinée à empoisonner le spectateur à force de rêverie, de persuasion ou de violence. J’aime le cinéma un peu fou qui reflète quelqu’un (le metteur en scène), le cinéma qui crée des personnages écrasants ou des baudruches, le cinéma un peu monstrueux qui a déjà été fait, que l’on fait et qui est à refaire. Je trouve dommage de s’en servir pour filmer ce qui eût pu faire une moyenne pièce de théâtre. En ce sens je préfère Moderato Cantabile, film manqué, aux Jeux de l’amour, film réussi.

Enfin, je ne vois absolument pas ce qui a pu pousser Philippe de Broca, un jeune homme, à faire ce film. L’histoire ? Maupassant en avait fait autre chose. Les personnages ? Ils ne dévient pas d’un pouce, n’ont pas un réflexe que l’on ne puisse prévoir. Le fait de réussir une comédie ? Alors là, il a eu raison. C’est moins drôle que Some like it hot, c’est moins cruel que les films de Lubitsch, c’est moins efficace que Boisrond, mais dans le genre c’est réussi. C’est « distrayant », mais dans le pauvre sens du mot. Valéry disait : « Se distraire, c’est s’absorber. » Dans ce cas-là, Les Jeux de l’amour ne sont pas distrayants. Mais on peut y passer une heure et demie sans dommages.

Cela dit, Philippe de Broca dispose des mêmes atouts que les autres jeunes metteurs en scène : de bons dialogues, de la justesse et cette vivacité qui touche parfois la sécheresse : il n’y a qu’un seul plan poétique dans ce film, celui où Jean-Pierre Cassel contemple une coccinelle sur sa main. Tout le reste du film se promène d’un trottoir à l’autre, d’un visage à l’autre, il y a de jolies vues, de bonnes scènes intimistes, des drôleries un peu forcées, aucune provocation, bref un film charmant. On voit même le visage de Chabrol dans une roulotte à un moment, ce qui fait soupirer de nostalgie, la Panthéon illuminé et les bonds de Jean-Pierre Cassel qui devait être éreinté. Geneviève Cluny et Jean-Louis Maury sont excellents.

Pourquoi d’ailleurs ces reproches ? L’ambition n’est pas un devoir. Et quelle importance si le charme de ce film est celui des éphémères (genre d’insectes qui ne vivent que peu de temps – signé Larousse) ? Aucune, si ce n’est l’agacement que l’on éprouve à parler d’un film que la mémoire refuse.

Chroniques 1954-2003, Livre de poche, 2022