Alexandre Mnouchkine

par de Broca

Philippe de Broca a tourné douze films avec le producteur Alexandre Mnouchkine, de L’Amant de cinq jours (1961) à Psy (1982). À sa disparition en 1993, le cinéaste lui a consacré un petit texte d’hommage, publié dans Le Film français.

« J’ai fait douze films avec vous (toi et Georges Dancigers et Bob Amon), mais surtout avec toi Sania, dont une bonne moitié dans des pays lointains.

Je t’ai donc vu, semaines après semaines, années après années, te lever, sous toutes les latitudes, à l’aube et te coucher bien après le crépuscule.

Tu t’habillais, dans ces pays pauvres où les fonctionnaires sont aisés, d’un pantalon élimé destiné uniquement à attirer leur compassion pour un pauvre petit producteur français.

Car on m’a raconté que tu étais Russe sous prétexte que tu as un petit accent et un nom imprononçable… comme tout bon producteur de l’époque ! C’est faux ! Tu étais Français et tu adorais la France.

On ne se demande bien pourquoi ? Tu ne fréquentais que des voyous ! Nous, en l’occurrence. Nous les artistes, qui ne faisions que des bêtises et un peu de cinéma. Tu nous grondais fort justement après nos turpitudes d’enfants gâtés. Tout était donc dans l’ordre.

Mais parfois les choses se gâtaient. Des pluies interminables, un fonctionnaire pointilleux, un bouton sur le nez de l’actrice. Ou pire, à la sortie du film : le bide ! (rare, avec toi !). J’étais effondré. Tu t’épanouissais ! Tu posais ton énorme et tendre main sur mon épaule d’artiste incompris. Ton visage, si ridé depuis, je crois, l’enfance, s’illuminait d’un sourire désarmant et tu me disais : « Remettons les choses à leur place. Après tout, on ne fait que du cinéma ! » Oui, Sania, tu ne faisais que du cinéma. Tu ne faisais même que cela. Pour ton plaisir et pour le nôtre. Pour le rire de tes petits-enfants. »

(source : Le Film français, n°2453/54, 7/14 mai 1993)