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« La Moustache de Claude Rich » par de Broca

La Moustache de Claude Rich
(par Philippe de Broca)

« Mon ami Claude Rich est un drôle d’oiseau. Il faut dire que plus les acteurs sont bons, plus ils sont oiseaux !

Un exemple…

Nous décidons, deux mois avant le tournage du « Jardin des plantes » que le personnage qu’il va incarner aura une moustache. Claude en essaye une fausse : épatant !

Je lui dis : « Laisse toi pousser le poil, nous taillerons ta moustache comme il se doit la veille du tournage. »

Les semaines passent, Claude se rase tous les matins. Il finit par avouer qu’il préfère mettre tous les matins une fausse moustache et entrer ainsi dans son personnage. Il fait donc tout le film avec ce postiche qu’il faut recoller, replacer, retailler, sécher à chaque instant. Ça pique, ça bloque la lèvre supérieure et interdit tout fou-rire. Bref, tout être normalement constitué trouverait cela insupportable.

Mais je me suis vite aperçu que pour Claude, ce postiche était un refuge, un prétexte pour se regarder longuement dans un miroir avant de tourner une scène. Fouiller le visage de cet homme qui n’est pas lui mais qui a son visage, sa voix, sa chaire et des morceaux de ses souvenirs.

Claude fait semblant de retrouver un poil rebelle et guette, en fait, l’âme de son double.

La preuve ?

Le dernier jour, la dernière prise du dernier plan est dans la boîte… Claude va s’assoir à quelque distance. Il regarde longuement dans son miroir, cette moustache. Il la caresse, il la titille, ne se résout pas à l’enlever, s’approche encore de ce reflet d’un postiche désormais inutile.

Puis il l’arrache.

Passons à autre chose ! »

Philippe de Broca

(13 septembre 1994)


De Broca à la sortie de « Un monsieur de compagnie »

« N’écrivez pas ce que je viens de vous dire. Il n’y a pas un mot de vrai… »

En 1964, pour la sortie d’Un monsieur de compagnie, la journaliste
Anne Andreu rencontre Philippe de Broca pour Paris Presse.

À côté des médiations de Godard, des recherches littéraires de Resnais, de la tristesse de Truffaut, l’auteur de L’Homme de Rio fait figure de joyeux plaisantin. S’il continue à passer pour un produit nouvelle vague, Philippe de Broca s’en est distingué d’emblée par sa spécialité. Dans cette génération de jeunes hommes de trente ans, il a choisi d’être le seul à garder le sourire. Pourtant le rire ne lui est pas naturel. C’est à force de considérer la vie comme un songe que Philippe de Broca a appris comment faire rêver les autres.

– Je fais des spectacles parce que c’est la seule manière d’échapper à la réalité et de magnifier la vie quotidienne. Le monde m’appartient…

Un peu triste, un peu méchant, un peu tendre, Philippe de Broca est insaisissable. Il le sait, s’en amuse. À peine a-t-il terminé une phrase qu’il se rétracte : « Surtout, n’écrivez pas ce que je viens de vous dire. Il n’y a pas un mot de vrai ».

Avec un parfait mépris pour la logique des mots et des idées, de Broca manie voluptueusement le paradoxe !

– Ce qu’il faut dans la vie, c’est se méfier des formules.

Fort de cette profession de foi, il aligne les déclarations les plus contradictoires :

– Je suis athée et je crois en Dieu. Je suis désespéré mais j’adore la vie. Je déteste les femmes et je ne peux m’en passer…

C’est cette même terreur des systèmes qui guide de Broca dans l’exercice de son métier. Une comédie farfelue avec Jean-Pierre Cassel, un film d’aventures avec Jean-Paul Belmondo. Un coup à droite, un coup à gauche. Cette alternance ne l’empêche pas d’avoir ses préférences :

L’Homme de Rio a été un gros succès. J’ai eu un mal fou à le faire et ça n’a rien d’un chef d’œuvre. Tandis que le Monsieur de compagnie, c’est autre chose. J’en suis plus que content. J’en suis fier…

Pourtant, pour votre prochain film, vous revenez au style roman d’aventures ?

Bien sûr. Mais si je prépare Les Aventures du Chinois, avec Belmondo, c’est parce que L’Homme de Rio a marché. Il n’y a pas d’autre raison.

Le seul sujet qui passionne véritablement de Broca, c’est le décalage qui existe entre ce que sont les gens et ce qu’ils paraissent : « Le Matador qui pleure tout seul le soir dans son lit. Voilà le héros de mon cœur… »

Comment avez-vous débuté au cinéma ?

– Par amour du cabotinage. J’aime le spectacle, je n’aime que ça. J’aurais voulu être comédien pour être applaudi par des foules en délire. Malheureusement, j’étais laid et timide.

Plutôt que de risquer une carrière raté, de Broca s’est rabattu sur la mise en scène. Il fait exécuter à ses comédiens ce qu’il est incapable de faire tout seul. Mais autant que possible, il choisit des doublures qui lui ressemblent. Ce n’est pas par hasard si Jean-Pierre Cassel a un nez trop long, des yeux à fleur de sage. Il suffit de voir les deux hommes côte à côte :

– Le cinéma m’amuse à la folie, parce que c’est une question de rapports entre les gens. J’ai la sensation d’être là pour susciter des idées et non pour en créer. Je nage dans l’inconnu.

Les films ne se font tout de même pas à votre insu ?

– Presque. Sur le plateau, il y a plein de gens qui bougent autour de moi, qui prennent des décisions à ma place. Comment voulez-vous que je sache ce qu’un plan va donner ?

Alors, pourquoi êtes vous metteur en scène ?

– Mais parce que c’est merveilleux, parce que c’est viril, parce qu’on touche à tout et parce que ce n’est pas fatigant.

En six longs métrages, Philippe de Broca est resté fidèle aux même dialoguiste, au même adaptateur, aux mêmes comédiens. Il connaît tout son monde depuis dix ans, mais il ne voit personne du métier en dehors du plateau. L’idée d’une bande à Broca est un pur non-sens.

Vous pensez vraiment que rien ne vaut la peine d’être pris au tragique ?

Non rien… Si, peut-être la mort d’un ami qui s’est suicidé parce qu’on n’a pas compris à temps. Mais sans doute n’y avait-il rien à comprendre.

(Paris Presse. 5 novembre 1964. Entretien reproduit avec l’aimable autorisation d’Anne Andreu.)


Interview de de Broca sur le tournage de « Un monsieur de compagnie »

Le secret de Philippe de Broca – 29 ans, cinq films ? Il s’amuse.

 Sur le tournage de Un Monsieur de compagnie aux studios de Boulogne en 1964,
le cinéaste répond aux questions d’un journaliste de Combat et revient sur ses premiers films.

Quand j’étais enfant, j’aimais inventer, transfigurer tout ce qui m’entourait : ainsi, la salle de bains de mes parents devenait instantanément une jungle dans laquelle je chassais le tigre ; l’instant d’après, la baignoire se métamorphosait en traîneau et j’étais un trappeur. Le temps a passé : j’ai vieilli. Aujourd’hui j’ai trouvé un autre joujou : ma caméra.

Tel est le secret de Philippe de Broca – 29 ans, cinq films – : il s’amuse et, les recettes de L’Homme de Rio tendrait à le prouver, il n’est pas le seul à s’amuser.

L’Homme de Rio, depuis le début, c’était un canular. Voilà : Unifrance Films organisait un voyage au Brésil au cours duquel Belmondo et moi devions présenter Cartouche, notre dernier film. Nous somme partis de Paris au mois de février par un temps glacial et, quelques heures après, nous atterrissions à Rio où il régnait une chaleur paradisiaque. Je dis à Jean-Paul : « C’est tout de même trop bête de ne pas profiter de ce pays. J’ai envie de faire un film ici l’année prochaine. » Bien entendu, il fut tout de suite d’accord. Restait à convaincre le producteur. Je lui explique : « On prend Belmondo, on l’habille en blanc, on lui colle un grand chapeau, on lui fait faire n’importe quoi et on appelle ça : L’Homme de Rio. » Lui aussi tombe d’accord. Nous signons les contrats. Après, eh bien, après, c’était moins drôle… parce qu’il a tout de même fallu chercher et trouver un histoire….

Des Jeux de l’amour à L’Homme de Rio, on retrouve toujours le même type de héros dans vos films.
Cela doit être une sorte de défoulement. Je ne crois pas avoir beaucoup de complexes, mais enfin, quand même…. J’aimerais bien vaincre avec la même aisance les crocodiles et les princesses lointaines, plaire à tout le monde, séduire par mon audace et ma désinvolture…

Bref, tout ce que font Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Cassel ?
Oui. D’ailleurs, c’est drôle parce que, avant de faire du cinéma, j’avais vu deux fois Oscar, la pièce de Claude Magnier ; une fois avec Belmondo et une fois avec Cassel. À chaque représentation, je me disais : « Tiens, il faut que je tourne avec ce type-là ». Résultat : je n’ai tourné qu’avec eux deux.

Comment avez vous débuté dans la réalisation ?
À vrai dire, j’ai eu beaucoup de veine. J’ai été l’assistant de Decoin, de Schoendoerffer, de Truffaut et de Chabrol pour Le Beau Serge et Les Cousins. Après ces deux films, Chabrol était connu et, directeur de sa propre maison de production, il n’avait plus besoin de se produire lui-même. Alors il a donné leur chances à plusieurs de ses amis – dont Éric Rohmer (pour Le Signe du Lion) et moi. J’ai donc fait Les Jeux de l’amour (1959) avec Jean-Pierre Cassel et Geneviève Cluny, qui n’était pas fâchée de sortir de la série publicitaire Dents blanches, haleine fraîche.

Et, quelques mois après, vous réalisiez Le Farceur (1960) ?
Ah, Le Farceur, un vrai gag ! Chabrol m’avait dit : « Tu peux y aller il reste encore des sous. » En quinze jours, Daniel Boulanger et moi avons fait le scénario, le découpage et les dialogues. Je pensais que tout le monde aimerait Le Farceur mais le film n’a pas bien marché. Il n’a plu qu’aux snobs ; c’est loupé, quoi !

Et L’Amant de cinq jours (1960), c’était loupé aussi ?
Un flop terrible. Je n’ai pas encore compris pourquoi, mais je reviens de loin. Moi, je l’aimais bien ce film. Enfin, c’est comme ça. Je me suis rattrapé avec Cartouche, qui fut un gros succès.

À votre ton, on dirait presque que vous le regrettez.
Il est vrai que je regrette un peu le côté western de Cartouche. Le thème était très beau ; cet homme à qui tout réussit trop bien, ce victorieux que ses victoires n’amusent plus, qui commence à s’ennuyer et qui se lance dans des aventures idiotes pour échapper à son ennui, j’aurais voulu que son histoire soit émouvante et, la fin mise à part, je l’ai traitée d’une manière trop désinvolte.

Vous vouliez faire pleurer et vous avez fait rire ?
C’est un peu cela. Je fais souvent rire malgré moi. Enfin, je veux dire que mes films sont drôles parce que, au bout du compte, je suis incapable de m’exprimer autrement. Si on ne fait pas rire, on doit convaincre ou émouvoir. Convaincre, c’est bien gentil, mais comme je ne suis moi-même convaincu de rien… Quant à émouvoir, il faut un diable de talent pour y arriver. « Raconter de belles histoires et faire rire en même temps sans nuire à leur beauté, voilà mon rêve »

Vous m’avez reçu aux studios de Boulogne ; préparez-vous un autre film ?
Il est déjà commencé. C’est une adaptation d’un roman d’André Couteau intitulé Un Monsieur de compagnie, qu’interpréteront Jean-Pierre Cassel, Orson Welles, Paul Meurisse, Sandra Millo et Jean-Pierre Marielle. [Welles et Millo ne tourneront finalement pas le film]

Quel en est le sujet ?
L’histoire d’un garçon qui ne fiche rien dans la vie. Une éloge de la paresse.


Interview de Philippe de Broca à propos de « Chouans ! »

Interview de Philippe de Broca
à propos de « Chouans ! »

Chouans ! est un film à grand spectacle et en même temps, un film très personnel. Vous avez attendu sept ans pour réaliser ce projet. Pouvez-vous nous en décrire l’historique ?
Je n’ai réalisé pratiquement que des comédies, mais j’ai toujours rêvé de faire des films épiques, romanesques, en costumes. Des films qui pourraient être d’ailleurs dans la fiction, mais en dehors de notre temps réel. Et puis, pendant des années, je n’ai pas pu en faire. Tout simplement parce qu’on n’en faisait pas en France. Je me heurtais à une espèce d’interdit, chez les distributeurs, parmi les pouvoirs d’argent. Le discours était qu’on ne faisait pas de films en costumes, que ça ne marchait pas. Et pendant ce temps-là, les Américains, les anglais (avec Barry Lyndon par exemple) en faisaient, et ça marchait… Ce sujet, cela faisait six ou sept ans que Daniel Boulanger et moi, nous l’avions conçu. Sur le principe d’une saga autour d’une famille française plongée dans la guerre civile. 

Nous l’avions d’abord située sous la Fronde, et puis nous est venue l’idée de le faire sous la Révolution Française, plus proche de nous, qui nous concerne plus aujourd’hui. J’ai essayé d’intéresser des gens à cette histoire, à ce projet. Les uns après les autres, c’était toujours la même réponse : on ne fait pas de films en.. etc. Jusqu’à ce que Maurice Illouz me fasse rencontrer Ariel Zeïtoun qui, lui, bizarrement – ça m’a paru bizarre à ce moment-là, et ça me paraît toujours bizarre aujourd’hui ! -m’a dit : « on fera ce film ». Pendant un an ou deux, il m’a fait attendre parce qu’il ne trouvait pas l’ouverture, jusqu’à il y a un an et demi, et puis maintenant, voilà…

Comment s’est passée votre période de cohabitation – qui dure toujours – avec un producteur… lui aussi réalisateur : Ariel Zeïtoun ?
Plutôt mal, mais avec Ariel Zeïtoun, c’est intéressant parce que ce mal va dans le bon sens. On se bagarre beaucoup, il me vexe facilement, il est péremptoire. Très souvent, j’ai envie de tout envoyer balader parce que j’ai le sentiment qu’il n’avait pas envie de monter cette affaire-là. Mais c’est toujours lui qui se rapprochait en disant : « Mais qu’est-ce que tu crois je fais là ? Si je suis là, c’est pour ça ! »… Je m’aperçois que bien souvent, il a eu des idées, auxquelles j’étais farouchement opposé, mais qui étaient bonnes. Et ça continue maintenant au montage. Par exemple, il y avait à l’origine, dans ce film, beaucoup de moments comiques, disons, cocasses, et j’étais très désespéré de les couper, parce que ce j’aime, c’est le passage du drame à la comédie. J’ai donc coupé, à sa demande, en lui disant : « tu vas voir, comme ça va être mauvais » ! On a vraiment taillé… et… c’était bon ! Ce que j’aime chez lui, c’est que c’est un vrai producteur. Je dis « vrai » parce que j’en connais plein de faux. Il est de rapport difficile, agressif, d’un caractère complètement opposé au mien ; c’est-à-dire qu’il pense que tout se fait dans la tension, alors que moi, je ne cherche que la grâce. Mais c’est un homme de cinéma, qui aime le cinéma.

Vous avez parlé successivement, à propos de Chouans !, de film épique, romanesque, en costumes, de cape et d’épée, etc… A quel genre appartient ce film ?
Je disais, au début du projet de Chouans !, et par commodité parce que je cherchais de l’argent, que ce serait un film de cape et d’épée. Des films de cape et d’épée, j’en ai fait – Cartouche par exemple – à une époque où ce genre charmant, plein de fantaisie, marchait en France. Cartouche s’est fait d’ailleurs au sein de la même maison de production que Fanfan la tulipe de Christian-Jaque, et il y a même des acteurs, comme Roquevert, que l’on retrouvait d’un film à l’autre. Ce qui m’avait intéressé dans le personnage de Cartouche, c’est que c’était un bandit, un marginal – aujourd’hui, il serait terroriste – qui voulait simplement jouir de la vie, et qui devenait voleur. Tout cela dans une société, le début du XVIIIème siècle, qui est en train de basculer. Je ne renie pas Cartouche, mais je ne m’y suis pas retrouvé. Ce que j’aime le mieux maintenant, c’est le côté dramatique, la fin du film, la mort de cette fille, le carrosse d’or. Autant j’adore faire des comédies de mœurs qui tournent autour des problèmes de l’amour – alors que c’est aussi douloureux qu’autre chose – autant je crois qu’il faut une certaine gravité pour traiter de personnages qui traversent une période aussi bouleversante et bouleversée que la Révolution Française.

C’est une espèce de pulsion fondamentaire pour moi que de retrouver toute la littérature du XIXème siècle que j’ai dévorée étant enfant, de me rapprocher de cette tradition du romanesque à panache que l’on retrouve bien sûr, et entre autres, dans le théâtre de Rostand, et qui a été si peu exploitée au cinéma. Cela revient aussi à un genre, et les genres, on ne peut pas les inventer, ils sont là. Alors, s’il fallait définir Chouans, je dirais que c’est une fresque sur une époque, qui pourrait représenter la nôtre. Une parabole qui poserait la question suivante : comment raconter, à partir d’une histoire inscrite dans le passé, ce que nous sommes aujourd’hui, d’où nous venons, ce qui nous fait agir ?

Tout ce qui se raconte dans Chouans ! concerne beaucoup de nos problèmes politiques, sociaux contemporains – on les sépare aujourd’hui pour faire bien – mais ce sont les mêmes problèmes, éternels, d’équilibre des sociétés. Alors si vous cherchez des références, elles sont peut-être plus du côté du Napoléon d’Abel Gance que du Bossu, contrairement à ce que mon image de marque laisse à penser. Et, pour revenir à Ariel Zeitoun, c’est vrai qu’il m’a beaucoup aidé à aller dans ce bon sens, et parfois contre moi-même ; à couper du Bossu et à laisser moins de place au spectaculaire facile.

Dans la notion de genre, il y a aussi celle du rythme de récit à adopter. Quelle est votre notion personnelle du rythme ?

Quand on commence un film, c’est-à-dire dès l’écriture, il faut se mettre un métronome dans le ventre. Je m’inspire beaucoup de la musique : une grande symphonie de Beethoven nous apprend énormément de choses sur, à la fois, la façon d’amener les thèmes, de les mettre en vagues, de les faire aboutir, exploser, redescendre… Il y a toute une pulsion humaine, qui fait qu’on a, à la fois, besoin d’alternance et d’homogénéité. L’arythmie n’est fondamentalement pas humaine. Dans la vie, on a le rythme cardiaque, il paraît même qu’on a des rythmes nerveux. Et il faut renforcer ça, parce que le spectacle étant une sorte de résumé exemplaire de la vie, il demande à rechercher ce rythme. Je suis obsédé par le rythme, mais ce n’est pas angoissant ! Je le ressens… On couche le scénario sur de grands tableaux, avec alternance d’allegro, d’andante… C’est un peu théorique, mais ça aide, et quand je tourne, j’exprime ça, je fais rire tout le monde parce que je dis souvent : « ah ! Là, je m’ennuie.. ! »

C’est-à-dire que là, il ne se passe rien, on n’attend plus rien… Si un type traverse une grande salle pour aller ouvrir une porte, je m’emmerde. Mais ce n’est pas une règle, parce que si je sais que derrière cette porte, il y a quelque chose d’important, une femme qu’il aime ou un assassin qui va l’étrangler, là, la trajectoire a une signification. Et aussi en fonction de ce qu’il y a avant et après : il y a des plages. Moi, je suis un peu rapide, un peu trop parfois, je suis tellement obsédé par le rythme que je confonds parfois le rythme et la précipitation… Mais j’aime mieux ça que le contraire, parce que le non-rythme, c’est l’ennui. ET ça, je le ressens souvent dans les spectacles ! Ces gens qui n’ont pas le métronome dans le ventre ! Il y a un côté biologique du rythme !

Le hasard des rythmes politique fait sortir Chouans ! le 23 mars, à un mois du premier tour des élections présidentielles, dont on a souvent dit que le mode de scrutin coupait la France en deux. Le phénomène Chouans continue-t-il à diviser la France en deux ?
Je suis cinéaste, je vous répondrai par images… J’ai toujours rêvé, et je rêve de plus en plus, de faire un jour un film sur l’Occupation en France… Je vais vous raconter une anecdote très très belle, qui pourrait être un point de départ : dans un petit village que je connais, une femme attendait au carrefour, le matin… le soir…. chaque jour. Je l’ai prise une ou deux fois en voiture, pour monter en ville, elle me racontait la guerre… Et j’ai eu un jour l’explication : cette femme passait ses journées au carrefour parce qu’elle attendait un Feldgrau qui avait occupé le village pendant la guerre. Elle avait eu une aventure avec lui – elle était toute jeune fille. Elle a été la tondue du village. Ce n’était pas facile, dans le pays il ne s’était pas passé grand-chose, il fallait trouver une tondue à la libération… On l’a tondue. Ses cheveux ont repoussé, mais elle attendait toujours le retour de son Allemand, au carrefour… Elle était devenue un peu folle.

Je trouve ça très émouvant dans la mesure où, d’habitude, on ne raconte le guerre que dans une certaine optique… Alors, si la période de la Révolution Française me fascine, si je n’ai pas traité dans ce film des guerres de Vendée, mais plutôt des guerres provinciales en Bretagne, c’est pour montrer qu’au-delà des prismes faciles, à partir de la guerre, dans le comportement humain, toutes les déviations sont possibles, et qu’elles ne se réduisent pas seulement à des questions d’opinions. Comme à toutes les époques, dans des situations de bouleversement, il y a l’un et l’autre. Chez les Blancs et chez les Bleus, les Bretons chouans et les armées de la République, il y a eu des brutes, des massacres des deux côtés, et des gens et des gestes épatants de chaque côté. Des moments. Les gens sont rarement épatants ou abominables. Ils peuvent être l’un et l’autre. Tout homme, toute femme, est prêt à faire des sacrifices grandioses puis, tout d’un coup, à s’acharner en foule sur un type déchiqueté. Le plus dur à admettre, c’est que ce peuvent être les mêmes. Montrer ça est toujours intéressant, et si le film sort en mars 1988, c’est un hasard et c’est tant mieux, j’espère…

Pour être encore plus clair, peut-on affecter la neutralité sur un sujet comme celui de Chouans ?
Non, on ne peut pas être neutre. Si on est neutre, on est gris, souvent terne. L’histoire est raconté presque toujours – et pour cause – par les vainqueurs. Les guerres de Vendée, les chouanneries, je les ai racontées avec l’œil des vaincus – et encore ne faut-il pas me demander des réponses trop claires parce que, moi non plus, je n’en ai pas – ; mais on ne peut pas avoir de sympathie pour les rebelles, les Robin des Bois. D’ailleurs, ça s’appelle Chouans ! Dans ce film, il y a trois personnages masculins et trois comportements.

Savinien, c’est la rage, le tolérant, l’homme qui a compris mais qui est impuissant. Et puis, il y a les deux autres : ses deux fils qui veulent agir. L’un, Tarquin, va vers le drame, jusqu’au bout, et l’autre, Aurèle, va vers une autre forme de drame, mais il ne l’atteindra pas, parce qu’au bord, il renonce. Toutes les convictions, les idées arrêtées qu’il avait, il les fout en l’air du jour au lendemain pour vivre, pour survivre. L’autre va jusqu’à la mort.
Les trois personnages expliquent la complexité des faits, la complexité des rapports humains aussi. Les choses ne sont pas simples. On dit souvent que la droite, c’est les privilèges, les châteaux, les prêtres, les riches. Oui, mais l’insurrection est, ici, d’origine populaire, paysanne. On dit aussi que la gauche, c’est les idées neuves, le bonheur du peuple, le progrès. Oui, mais ici ça consiste à fermer les églises, à envoyer des paysans, attachés à leur terre, se battre contre les Prussiens, sans crier gare, et à l’époque des moissons. Où, comment ces faits peuvent-ils rentrer dans une analyse réductive ?

Les frais bruts malheureusement, c’est la réalité d’une guerre. Fontenoy, c’est 300 morts, mais brusquement, entre les guerres de la Révolution et de l’Empire, c’est une saignée, deux millions de jeunes hommes français disparus. C’est gigantesque. Et tout ça est parti d’une idée généreuse en 1789, presque consensuelle à 99% : le royaume a des problèmes, parlons-en ensemble…
Réunissons-nous… On voit ce qu’il en est advenu.

Pour cette peinture, quel partie pris avez-vous choisi avec votre directeur de la photographie Bernard Zitzermann ? Etes-vou allés vers le réalisme, le naturalisme, le romantisme XIXème siècle anglais ?
Oui, on est plutôt allé vers le romantisme XIXème… Enfin, vous savez,au cinéma, quand on fait des films comme ça, on prend ce qu’on trouve ! On a eu la chance d’avoir un temps de cochon ! On a utilisé énormément de brumes… J’ai choisi Zitzermann à cause de Molière d’Ariane Mnouchkine ; Je me suis admirablement entendu avec lui, il est formidable : il arrive dans des lieux, et selon ce qui s’y passe, il renforce ce qu’il y a. Si c’est tout gris, il met de la brume, il remet du gris tant que ça peut, ce sont les premiers plans qui ressortent et le reste fout le camp dans le brouillard…. Si ça claque de soleil, on se met en contre-jour avec de grandes brillances… Et ce qui est étonnant, bien qu’on n’ait pas beaucoup le temps de se parler dans la journée (trois mots au début de la journée ou s’il y avait tout à coup un renversement de temps), il trouvait toujours le truc pour que ce soit en référence à ce qu’on peut dire de la peinture…. J’ai du mal à parler de ça parce que ne sont pas les mots qui jouent, ce sont les impressions, les sensations…

Chouans ! est un des plus gros budgets français de l’année. Avec la notion de film historique, de grand spectacle, vous trouverez ce que l’on appelle « les petits métiers du cinéma », ceux qui sont en train de disparaître dans la production moderne. Pouvez-vous nous parler d’eux ?
On a peur, souvent, de ne pas trouver un armurier, par exemple. Dans le film, pour les fusils d’époque, l’armurier tenait absolument – et il avait raison – à ce que, quand le chien arrive sur l’amorce, ça fasse « pfuit ! », et puis après, « pshshsh… » C’est en deux temps, il y a l’allumage de la mèche, et ensuite l’explosion de la poudre… Il y avait 50 ou 60 fusils qu’il fallait recharger, j’avais demander de truquer ça… Non, pas question !… Alors, il s’est pris 4 ou 5 adjoints, il a trouvé des gars dans les fermes pour l’aider, et des figurants aussi, parce que recharger 50 fusils, à l’ancienne, avec la bourre, etc… pour que ça fasse bien « pfuit ! » « pshshsh »… Je savais bien que ça n’avait pas grande importance sur le résultat, mais c’est très important de respecter ces « détails » parce que, si on respecte ce travail, tout le monde se sent concerné, respecté, et se défonce…

De la même façon, Yvonne Sassinot de Nesle m’a fait les costumes. Elle est créatrice de costumes, avec un talent énorme. C’est une grande dame du théâtre, mais elle était là tout le temps, et quand il y avait des scènes de foule, elle tenait absolument à ce que chaque figurant passe par ses mains. Les uniformes, ça allait, c’est le même costume, et encore ! Elle allait vérifier que chaque hussard ait sa petite natte, selon la coiffure qu’il avait, etc… Pour que les figurants soient prêts à 11h-midi, avec les cavaliers qui amenaient leur propre cheval et s’en occupaient, les types partaient parfois à 4h du matin de chez eux, et elle, à 5h du matin, elle était là. Chaque paysan, chaque figurant était pris un par un, pour qu’ils soient tous différents ; elle pré-fabriquait des costumes, en inversant certains détails, etc, mais que, surtout, on puisse filmer en archi-gros plan sans problème. Elle a été chercher des costumes au musée de Nantes, des costumes, qui valent des fortunes dans des vitrines : je ne sais pas comment elle est arrivée à arracher ça du musée… Elle les vérifiait continuellement, tançait des figurants négligeants, nettoyant toute la nuit quand il y avait eu des bagarres dans la gadoue, alors qu’il fallait que les costumes sont propres et secs le lendemain matin.. Tout ça avec son assistante, Anne de Laugardière, et tout un staff de filles et de garçons au garde-à-vous… Extraordinaire ! Et c’est terrible parce que moi, je vois maintenant un film à l’endroit, à l’envers, sous toutes ses coutures, et je me dis que ça va passer à toute vitesse. Qu’est-ce qui restera de cela ? Un univers ou un entracte ? Ce que je sais, c’est que dans Chouans, constamment, grands ou petits métiers du cinéma, il y a eu la volonté du mieux.

Propos recueillis par Claude Philippot et Daphné Victor pour le dossier de presse


Philippe de Broca et la défense des animaux

Philippe de Broca
et la défense des animaux

Lors de la sortie de L’Africain en 1983, Philippe de Broca revient sur le tournage et sur son engagement pour la défense des animaux.

Quelle est pour vous la définition de la comédie ?
Entre mille définitions, la comédie est le ressort qui permet de partir du tragique pour le montrer sous un angle dérisoire. La comédie, c’est la liberté, puisqu’on peut prendre une situation crucifiante pour la tordre jusqu’à en extirper du cocasse. La comédie cerne mieux que la vérité.

Ne vouloir que faire rire, avoir le ton léger… On peut vous qualifier de superficiel ?
On n’a pas tort. Je revendique le droit d’être totalement superficiel. Je ne suis pas ému par le théâtre de Racine où tous ces gens souffrent profond avec des couronnes sur la tête. Je suis beaucoup plus touché par les évaporés petits marquis de Marivaux.

Avec vous, la comédie gravite toujours autour de l’amour.
Je ne pense qu’à ça. Ne suis sensibilisé qu’à ça. Il n’y a que les affaires de cœur qui m’exaltent, d’ailleurs, toute la littérature française n’est axée que sur lui, le cœur. Les moments de bonheur fulgurant qu’on a, dans la vie, sont ceux où on prend dans ses bras la femme qu’on aime. Le reste du temps n’est fait que de moments tranquilles, plats. Pas de quoi en tirer un film. Reste l’amour. J’ai fait près d’une vingtaine de films, une dizaine d’entre eux m’intéressent et mon rêve, c’est d’inventer une comédie sur le sentiment amoureux sans rien d ‘autre autour, sans sauce, sans anecdote qui l’altère. Un sentiment amoureux pas forcément homme-femme, peut-être pour un enfant ou, tiens, pour la nature. Je suis fou de la nature.

Au point de vouloir la protéger en militant pour la WWLF (World Wild Life Foundation)
Je fais partie du conseil d’administration de la WWLF de Paris. Il y a des gens qui, pour mieux vivre, se réfèrent à la psychanalyse, moi, c’est aux animaux. Pas à la manière des écolos barbus en vestes de mouton qui vont se recycler dans le Larzac, mais à la nature en permanence, aux animaux sauvages. Rien que ce détail : il y a toujours des massacres d’éléphants, parce que l’ivoire est de plus en plus rare. Absurdité criminelle de la chose : on tue une bête de cinq tonnes, qui vit 70 ans et met deux ans à se reproduire, le tout pour lui filouter deux grandes dents dont on tirera une dizaine de bracelets. Je ne suis pas croyant, je suis un sceptique des systèmes politiques, y compris de la déclaration des droits de l’homme, aucun parti politique ne me fourguera jamais une carte d’adhésion, mais ce que je trouve très progressiste, c’est que l’homme soit responsable de la Terre et se rende compte qu’il est urgent de cesser de détruire la nature dont il est issu et dont il a besoin pour survivre.

D’où votre film qui illustre votre mystique en montrant la désinvolture de celui qui vient esquinter la nature la plus vierge en lui plantant des cases et des cantines dedans, et qui agace suprêmement ceux qui y vivent en y faisant le moins de dégâts, en y laissant le moins de papiers gras possibles ?
Oui, je raconte ça, mais en y mettant les formes, celles de la comédie, sur une cadence allègre, tonalité Jules Verne, avec des « sauvages », des jungles, des singes, des éléphants et, lovée au centre de tout ça, une histoire d’amour interminable, comme je les aime, celle de deux êtres particuliers qui se sont rencontrés adolescents, n’ont jamais été capables de vivre ensemble ou séparés, qui n’arrivent à se débloquer qu’à travers une aventure forte, bousculée par d’événements. Des êtres complémentaires mais opposés…

Comment avez-vous préparé le tournage ?
À la dure. C’est ce qui a prit le plus de temps. Dans ce genre de film, le répérage est presque plus capital que le tournage. J’ai cavalé pendant un mois et demi, sillonné le Zaïre, trouvé une tribu pigmée qui, il y a quelques années, avait eu un semblant de contact avec ce qu’on appelle la civilisation, en venant vendre des bricoles, scorpions séchés ou arcs divers aux portes d’hôtles qui, aujourd’hui, tombent en poussière. Je les ai pris, ces Pygmées, pour jouer dans mon film, ils ont été enchantés, n’ont, évidemment jamais vu le cinéma d’aussi près, mais, comme les gitants ou les enfants, ils jouent d’instinct puisque, déjà, leur vie, ils la passent à chanter, danser, imiter les animaux

Comment s’est passé le tournage, c’est-à-dire la transplantation de Noiret-Deneuve, des autres acteurs et de l’équipe, de Paris au Kenya ?
D’abord, ils étaient tous bouleversés, mes stars, mes techniciens et même mes cégétistes, de sentir qu’ils se retrouvaient devant l’origine du monde. Et puis l’émotion passée, il a fallu les installer. Dans des camps de toile, des camps, donc, mais pensés et agencés par des anglais, c’est-à-dire avec un sens douillet du confort. Les vastes tentes avaient leurs meubles, l’électricité, l’eau chayde… la première nuit, tout le monde dormait quand un collectif de lions traverse le camp. Trouille générale intense, les gardes armés se préparaient à intervenir mais en fait, les fauves ne nous ont même pas jété un œil, ils venaient gentiment bouffer nos restes.

Comment avez-vous dénichés pour certaines scènes, le troupeau de 500 éléphants ?
Un petit avion patrouillait sans cesse pour repérer, à l’avance, les migrations d’éléphants. En survolant, en permanence, ils arrivaient à déterminer vers quel point le troupeau se dirigeait. Ne nous restait plus qu’à trouver une route qui nous y mènerait mais, pendant certains tournage, il y a des moments miraculeux.

Les quelques mots ou phrases qu’articulent Deneuve et les Pygmées sont-ils authentiques ?
C’est du bambuti conforme.

Quels ont été les pires désagrèments de ce tournage exotique ?
D’abord la chaleur. Puis, après des pluies torrentielles, des nuées de bestioles, qui nous obligeaient à manger la soupe sous des moustiquaires et à faire des feux autour du camp, ce qui ajoutait à la fournaise déjà existente.

Aucun danger, aucune bête féroce n’ont menacé l’équipe ?
Pas vraiment mais undirectement si. Pour une partie du tournage, nous étions dans un hôtel tout prêt de la Galana River. Chaque nuit, des crocodiles claquaient des mâchoires avec un tel enthousiasme qu’ils nous empêchaient de dormir, et nous faisaient peur, le clapotement des maxullaires des crocodiles ayant un son sinistre. Jusqu’à la nuit où Noiret, qui en avait ras les cernes de ne pas dormir, a hurlé aux sauriens sonores : « vous allez fermer vos gueules, oui ?

Et alors ?
Ils l’ont fermé. Ce que c’est que d’avoir de l’autorité.


Philippe de Broca et l’Afrique

Philippe de Broca et l’Afrique

En 1983, lorsqu’il fait la promotion de L’Africain, Philippe de Broca revient sur sa passion pour le continent africain, la préservation des espèces menacées et le futur projet de Chouans !.

« Je suis incapable de m’intéresser à un personnage que je n’aime pas, ce n’est pas par goût mais par dégoût. Je ne sais pas être satirique ni m’acharner sur le mauvais. Pourrais-je faire une comédie écologique, pourquoi pas ? C’est rare. Le sujet est plutôt grave. D’ailleurs tous mes scénarios sont le plus souvent sérieux tant qu’ils sont en gestation et au fur et à mesure qu’ils sont un film je ne sais pas comment ils deviennent drôles mais, c’est plus fort que moi, je désamorce la tristesse, la peur. Ça me vient tout seul.
Je veux bien essayer d’être moins gentil mais je vais surtout vers ce qui m’est le plus facile.
La notion du voyage, je l’ai dans la peau. Généralement, je me plonge dans des atlas, je me penche sur des mappemondes, des dictionnaires et des albums-photo et je choisis un point du globe. Paradoxalement, moins je le connais plus c’est facile de laisser courir mon rêve. Quand on veut raconter une histoire à ma façon, il est dangereux de pénétrer trop loin dans un pays. L’Afrique, justement je connais très bien et j’ai hésité longtemps avant d’y retourner. C’est un continent fascinant et tragique. Ce n’est peut-être pas très honnête de montrer une jungle de rêve (au Kenya, le foisonnement de paysages riches et de parcs naturels pour les animaux permet le plus beau spectacle). Mais ma philosophie, je n’en ai aucune d’ailleurs, c’est de faire des films faciles, ce qui n’est pas si facile. Je suis très sceptique sur les grands mouvements socio-politiques. Pourtant la défense de sa planète, c’est un soucis qu’on a tous au fond du cœur. Je suis membre d’une société internationale pour la défense des bêtes en voie d’extinction, comme les éléphants ou les rhinocéros. J’ai rencontré des gens étonnants qui consacrent leur vie à ça. Dans un prochain film, je parlerai d’eux, de ces émigrés installés loin, décalés dans le temps et l’espace, qui trimballent leur civilisation à l’autre bout du monde sans l’imposer. Ce en quoi ils ne sont pas des pionniers mais une race élitaire, un peu comme les personnages du Diable par la queue, ces aristocrates dans un château en ruines qui sauvent leurs traditions avec une formidable tolérance et une grande noblesse de caractère. J’irai peut-être faire ce film en Insulinde, quelque part entre Java et Bali ; toujours Conrad qui m’entraîne.

J’ai un autre projet, sédentaire celui-là ; sous la Révolution française, dans l’Ouest, je voudrais évoquer la nostalgie du XVIIIème siècle dont parlait Talleyrand et les nouveaux encyclopédistes qui traversent la guerre civile. Mais que j’aille à Bali, en Vendée, ou en Bretagne, que je tente d’être moins gentil, je crois qu’on ne tourne jamais qu’autour de son trou. Je reviendrai toujours vers les choses que je sais faire. Pour certains, cela s’appelle des tics, pour d’autres, c’est un style. »


Philippe de Broca à propos de « Psy »

Philippe de Broca à propos de Psy

En 1980, l’actualité de Philippe de Broca tourne autour de Psy, son nouveau film avec Patrick Dewaere. Il répond ici aux questions de Luc Honorez pour le quotidien belge, Le Soir.

Philippe de Broca, si vous apports avec le grand public sont bons, l’accueil de la presse l’est souvent moins…

Est-ce que parce que je me suis spécialisée dans la comédie, un genre dit « mineur » ? Peut-être. Mais, que voulez-vous ? Pour moi, les choses dramatiques se transforment souvent en gags ! Mon regard sur le monde, dans mes films, est plutôt drôle, mais ce n’est pas pour cela que les données dramatiques sont gommées. Mais cela, on ne le voit pas… Quand je lis la presse, j’ai l’impression d’être une aspirine, celui qui efface le mal de tête !
Les critiques m’ont souvent blessé ! Surtout dans le cas du Roi du cœur, le film le plus proche de ma sensibilité. Sur un ton de comédie fantastique, j’y parlais de la bêtise de la guerre : la presse française n’a pas voulu le voir…
Alors qu’en Amérique, qui était alors en pleine guerre du Vietnam, cela a été parfaitement compris et Le Roi de cœur a été un grand succès.

Il y a, parfois, des recettes, des ficelles, dans vos films ?
Oui, mais les recettes ne sont qu’un mur sur lequel l’imagination rebondit. Pas de secret pour un film : il faut tomber sur le sujet que les gens attendent. C’est-à-dire, vu les délais de tournage, connaître l’air du temps avec un an d’avance. Pas facile.

Facile… Alors que certains de vos films, comme La Poudre d’escampette, je songe au personnage de Piccoli, touchent la sensibilité, d’autres comme Tendre poulet sont…. faciles.

Ils font partie de mes films vacances, ce que je tourne parce que je tourne parce qu’il est discourtois d’emmerder le spectateur. Cela dit, ils ont un fonction morale : ils sont un soir de fête ou d’oubli, comme vous voudrez

Votre cinéma fait toujours la part belle au scénario alors que vous et ceux de l’ancienne nouvelle vague avez mis au rancart des gens très narratifs comme Jeanson, Duvivier, Prévert, Carné, etc…

c’est plutôt Truffaut et Godard qui en voulaient à ces gens-là. Moi, dans Les Jeux de l’amour, je faisais dire par Cassel à un bavard : Fais pas ton Jeanson ! » Mais j’ai ôté cette scène. J’ai bien fait. Car, aujourd’hui, à cause de cette attitude de rejet, il n’y a plus – à part des types comme Dabadie qui en font trop – de véritables scénaristes de cinéma français. Ils ont été tués par le metteur en scène-dieu. Et c’est inquiétant.

Par contre, peu à peu, on voit naître une nouvelle génération d’acteurs.

Oui, les Lhermitte, Clavier, Auteuil, Bourseiller sont très bien. Il y a un jeune que je vous recommande : Jean-Pierre Darroussin, qui joue dans Psy et dans Celles qu’on n’a pas eues de Pascal Thomas. C’est un futur grand. J’ai envie de me frotter à cette nouvelle génération. Si je veux rester jeune d’esprit, je ne peux m’enfermer tout le temps avec mes sympathiques quinquagénaires : Jean Rochefort, Annie Girardot et Philippe Noiret.

Si l’on en juge par vos films, vous appréciez les femme !
Pour moi, la femme est le moteur essentiel du cinéma. Je ne peux pas imaginer que l’on puisse impressionner de la pellicule sans mettre des femmes dessus même si dans mon cas, il arrive que les femmes soient peu femmes-objets… Tiens, avez-vous remarqué Catherine Fort dans Psy ? Elle va faie parler d’elle.

Pourriez- vous filmer un scénario à l’encontre de vos sentiments ?
Je ne peux pas filmer des gens ou des choses qui me déplaisent. Je rêve d’un monde peuplé de bébés joufflus, de gens bons, de couchers de soleil magnifiques. Même s’il m’arrivait de faire un film politique, je montrerais des gens épatants, c’est dire ! Je suis donc un optimiste mais un optimiste angoissé parce que les choses ne sont jamais comme je les aimerais. Ce qui explique aussi certains de mes colères !

Vos projets ?
Retrouver l’écrivain-scénariste Daniel Boulanger pour un film sur la révolution française.


Philippe de Broca et le rêve américain

Philippe de Broca et le rêve américain

Fin 1975, Philippe de Broca qui vient de signer un nouveau succès avec L’Incorrigible, s’entretient avec Joe Van Cottom, le créateur de l’hebdomadaire Ciné Revue, et revient sur ses projets hollywoodiens.

Lorsque l’année dernière, nous nous sommes rencontrés à Hollywood, vous m’aviez dit que vous envisagiez de tourner aux États-Unis. Où en êtes-vous à ce sujet ?
Il y a longtemps que j’essaie de tourner un film aux États-Unis et cela pour plusieurs raisons. D’abord, parce que tout de même, Hollywood, c’est toujours quelque chose, ensuite parce que je m’exprime pas trop mal en anglais et enfin parce qu’il y a énormément de comédiens américains avec lesquels j’aimerais travailler. Malheureusement, jusqu’à présent, cela ne s’est pas concrétisé. Il est vrai que ce genre d’entreprise est beaucoup plus difficile à monter qu’on le suppose généralement.

Qu’est-ce qui vous a frappé le plus dans l’évolution du cinéma américain ?
Avant tout, et essentiellement même, son impitoyable violence. C’est du reste la raison pour laquelle j’aimerais réaliser un film en Amérique. Tout, pour moi, est parti du Roi de cœur qui a été un très gros succès en Europe et qui, aux États-Unis, est considéré comme un film d’art et d’essai. Lancé modestement dans une petite salle spécialisée, Le Roi de cœur a rapidement gagné en popularité au point qu’il a réalisé de très, très grosses recettes. Cela est dû au fait que mon Roi de cœur a été très favorablement reçu par la jeunesse et plus précisément, à l’époque, par les hippies. Bizarrement, ce conte de fées pour adultes a été accueilli aux États-Unis comme un film contestataire ! Depuis sa sortie, je suis relativement connu aux USA, surtout dans le monde du spectacle et ce qui est paradoxal, c’est que les Américains voudraient bien me confier un film mais sur un sujet qu’ils auraient précédemment choisi. J’avais l’intention de faire un film de commande basé sur la vie du Général Giraud. Mais, tout de même, cela ne m’aurait pas été facile car aux États-Unis, le fonctionnement n’est pas le même qu’en France. Le metteur en scène est davantage considéré comme un technicien que comme un auteur. Si je ne peux réaliser en Amérique le film que j’ai vraiment envie de faire, et j’ai plusieurs sujets en tête, j’aime mieux rester en France.

Vous avez vu des films comme L’Exorciste, French Connection, Le Parrain… ?
Ce qui me frappe, c’est que vous venez de citez trois films dont la base – comme tous les films à succès en dehors des productions Disney – est la violence non seulement physique mais aussi la violence des rapports entre les femmes et les hommes, les attirances, les affinités, les amitiés. On ne peut pas voir un film consacré à l’amitié entre deux hommes, même dans l’admirable L’Epouvantail, sans qu’à un moment donné ils s’affrontent et se cassent la gueule. La permanence de la violence est un des phénomènes les plus typiquement américains. Comme précisément, j’ai envie de tourner des films sur la douceur de vivre, la facilité des rapports entre les gens, bref des films plus positifs que négatifs, vous comprendrez que c’est là une des raisons pour lesquelles je ne parviens pas à tourner à Hollywood ! (…)

Pour en revenir au Roi de cœur, dont je vous parlais tout à l’heure, ce film a eu une carrière très curieuse. Artistes Associés qui l’avait produit et qui avait donc intérêt à ce qu’il soit vu par le plus grand nombre possible de spectateurs, a distribué le film aux États-Unis exactement comme tous les films dits classiques. Échec… Le Roi de cœur a ensuite été programmé à Boston, pas loin de l’Université de Harvard, pour une semaine. Il est à l’affiche depuis quatre ans ! Un distributeur l’a acheté et l’a lancé dans toutes les villes universitaires, où il a connu le même succès. On a commencé à parler de moi dans la presse, mon Roi s’est répandu dans un tas de salles, et, maintenant, il passe partout, absolument partout.


Interview de Philippe de Broca à propos des « 1001 Nuits » (vidéo)

Interview de Philippe de Broca
à propos des « 1001 Nuits »

Le 11 avril 1990, à l’occasion de la sortie des 1001 nuits dans les salles françaises,Philippe de Broca s’exprimait à la télévision et revenait sur ses motivations au cinéma : « Pendant longtemps, j’ai fait des films en pensant qu’il ne fallait pas que je choque ma maman, mais aujourd’hui, je ne veux pas choquer mes enfants. Mais au fond, c’est mon tempérament. Je n’aime pas l’érotisme, je n’aime pas la violence, et alors, il me reste le rire. »


Philippe de Broca à propos de « L’Africain » (vidéo)

Philippe de Broca à propos de « L’Africain »

En mars 1983, Philippe de Broca vient faire la promotion de son nouveau film L’Africain sur le plateau de FR3 Ile de France. Il évoque le casting, l’Afrique et ses envies : « Je pars souvent sur des sujets dramatiques, et je finis par en rire »


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