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De Broca à la sortie de « Un monsieur de compagnie »

« N’écrivez pas ce que je viens de vous dire. Il n’y a pas un mot de vrai… »

En 1964, pour la sortie d’Un monsieur de compagnie, la journaliste
Anne Andreu rencontre Philippe de Broca pour Paris Presse.

À côté des médiations de Godard, des recherches littéraires de Resnais, de la tristesse de Truffaut, l’auteur de L’Homme de Rio fait figure de joyeux plaisantin. S’il continue à passer pour un produit nouvelle vague, Philippe de Broca s’en est distingué d’emblée par sa spécialité. Dans cette génération de jeunes hommes de trente ans, il a choisi d’être le seul à garder le sourire. Pourtant le rire ne lui est pas naturel. C’est à force de considérer la vie comme un songe que Philippe de Broca a appris comment faire rêver les autres.

– Je fais des spectacles parce que c’est la seule manière d’échapper à la réalité et de magnifier la vie quotidienne. Le monde m’appartient…

Un peu triste, un peu méchant, un peu tendre, Philippe de Broca est insaisissable. Il le sait, s’en amuse. À peine a-t-il terminé une phrase qu’il se rétracte : « Surtout, n’écrivez pas ce que je viens de vous dire. Il n’y a pas un mot de vrai ».

Avec un parfait mépris pour la logique des mots et des idées, de Broca manie voluptueusement le paradoxe !

– Ce qu’il faut dans la vie, c’est se méfier des formules.

Fort de cette profession de foi, il aligne les déclarations les plus contradictoires :

– Je suis athée et je crois en Dieu. Je suis désespéré mais j’adore la vie. Je déteste les femmes et je ne peux m’en passer…

C’est cette même terreur des systèmes qui guide de Broca dans l’exercice de son métier. Une comédie farfelue avec Jean-Pierre Cassel, un film d’aventures avec Jean-Paul Belmondo. Un coup à droite, un coup à gauche. Cette alternance ne l’empêche pas d’avoir ses préférences :

L’Homme de Rio a été un gros succès. J’ai eu un mal fou à le faire et ça n’a rien d’un chef d’œuvre. Tandis que le Monsieur de compagnie, c’est autre chose. J’en suis plus que content. J’en suis fier…

Pourtant, pour votre prochain film, vous revenez au style roman d’aventures ?

Bien sûr. Mais si je prépare Les Aventures du Chinois, avec Belmondo, c’est parce que L’Homme de Rio a marché. Il n’y a pas d’autre raison.

Le seul sujet qui passionne véritablement de Broca, c’est le décalage qui existe entre ce que sont les gens et ce qu’ils paraissent : « Le Matador qui pleure tout seul le soir dans son lit. Voilà le héros de mon cœur… »

Comment avez-vous débuté au cinéma ?

– Par amour du cabotinage. J’aime le spectacle, je n’aime que ça. J’aurais voulu être comédien pour être applaudi par des foules en délire. Malheureusement, j’étais laid et timide.

Plutôt que de risquer une carrière raté, de Broca s’est rabattu sur la mise en scène. Il fait exécuter à ses comédiens ce qu’il est incapable de faire tout seul. Mais autant que possible, il choisit des doublures qui lui ressemblent. Ce n’est pas par hasard si Jean-Pierre Cassel a un nez trop long, des yeux à fleur de sage. Il suffit de voir les deux hommes côte à côte :

– Le cinéma m’amuse à la folie, parce que c’est une question de rapports entre les gens. J’ai la sensation d’être là pour susciter des idées et non pour en créer. Je nage dans l’inconnu.

Les films ne se font tout de même pas à votre insu ?

– Presque. Sur le plateau, il y a plein de gens qui bougent autour de moi, qui prennent des décisions à ma place. Comment voulez-vous que je sache ce qu’un plan va donner ?

Alors, pourquoi êtes vous metteur en scène ?

– Mais parce que c’est merveilleux, parce que c’est viril, parce qu’on touche à tout et parce que ce n’est pas fatigant.

En six longs métrages, Philippe de Broca est resté fidèle aux même dialoguiste, au même adaptateur, aux mêmes comédiens. Il connaît tout son monde depuis dix ans, mais il ne voit personne du métier en dehors du plateau. L’idée d’une bande à Broca est un pur non-sens.

Vous pensez vraiment que rien ne vaut la peine d’être pris au tragique ?

Non rien… Si, peut-être la mort d’un ami qui s’est suicidé parce qu’on n’a pas compris à temps. Mais sans doute n’y avait-il rien à comprendre.

(Paris Presse. 5 novembre 1964. Entretien reproduit avec l’aimable autorisation d’Anne Andreu.)


Interview de de Broca sur le tournage de « Un monsieur de compagnie »

Le secret de Philippe de Broca – 29 ans, cinq films ? Il s’amuse.

 Sur le tournage de Un Monsieur de compagnie aux studios de Boulogne en 1964,
le cinéaste répond aux questions d’un journaliste de Combat et revient sur ses premiers films.

Quand j’étais enfant, j’aimais inventer, transfigurer tout ce qui m’entourait : ainsi, la salle de bains de mes parents devenait instantanément une jungle dans laquelle je chassais le tigre ; l’instant d’après, la baignoire se métamorphosait en traîneau et j’étais un trappeur. Le temps a passé : j’ai vieilli. Aujourd’hui j’ai trouvé un autre joujou : ma caméra.

Tel est le secret de Philippe de Broca – 29 ans, cinq films – : il s’amuse et, les recettes de L’Homme de Rio tendrait à le prouver, il n’est pas le seul à s’amuser.

L’Homme de Rio, depuis le début, c’était un canular. Voilà : Unifrance Films organisait un voyage au Brésil au cours duquel Belmondo et moi devions présenter Cartouche, notre dernier film. Nous somme partis de Paris au mois de février par un temps glacial et, quelques heures après, nous atterrissions à Rio où il régnait une chaleur paradisiaque. Je dis à Jean-Paul : « C’est tout de même trop bête de ne pas profiter de ce pays. J’ai envie de faire un film ici l’année prochaine. » Bien entendu, il fut tout de suite d’accord. Restait à convaincre le producteur. Je lui explique : « On prend Belmondo, on l’habille en blanc, on lui colle un grand chapeau, on lui fait faire n’importe quoi et on appelle ça : L’Homme de Rio. » Lui aussi tombe d’accord. Nous signons les contrats. Après, eh bien, après, c’était moins drôle… parce qu’il a tout de même fallu chercher et trouver un histoire….

Des Jeux de l’amour à L’Homme de Rio, on retrouve toujours le même type de héros dans vos films.
Cela doit être une sorte de défoulement. Je ne crois pas avoir beaucoup de complexes, mais enfin, quand même…. J’aimerais bien vaincre avec la même aisance les crocodiles et les princesses lointaines, plaire à tout le monde, séduire par mon audace et ma désinvolture…

Bref, tout ce que font Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Cassel ?
Oui. D’ailleurs, c’est drôle parce que, avant de faire du cinéma, j’avais vu deux fois Oscar, la pièce de Claude Magnier ; une fois avec Belmondo et une fois avec Cassel. À chaque représentation, je me disais : « Tiens, il faut que je tourne avec ce type-là ». Résultat : je n’ai tourné qu’avec eux deux.

Comment avez vous débuté dans la réalisation ?
À vrai dire, j’ai eu beaucoup de veine. J’ai été l’assistant de Decoin, de Schoendoerffer, de Truffaut et de Chabrol pour Le Beau Serge et Les Cousins. Après ces deux films, Chabrol était connu et, directeur de sa propre maison de production, il n’avait plus besoin de se produire lui-même. Alors il a donné leur chances à plusieurs de ses amis – dont Éric Rohmer (pour Le Signe du Lion) et moi. J’ai donc fait Les Jeux de l’amour (1959) avec Jean-Pierre Cassel et Geneviève Cluny, qui n’était pas fâchée de sortir de la série publicitaire Dents blanches, haleine fraîche.

Et, quelques mois après, vous réalisiez Le Farceur (1960) ?
Ah, Le Farceur, un vrai gag ! Chabrol m’avait dit : « Tu peux y aller il reste encore des sous. » En quinze jours, Daniel Boulanger et moi avons fait le scénario, le découpage et les dialogues. Je pensais que tout le monde aimerait Le Farceur mais le film n’a pas bien marché. Il n’a plu qu’aux snobs ; c’est loupé, quoi !

Et L’Amant de cinq jours (1960), c’était loupé aussi ?
Un flop terrible. Je n’ai pas encore compris pourquoi, mais je reviens de loin. Moi, je l’aimais bien ce film. Enfin, c’est comme ça. Je me suis rattrapé avec Cartouche, qui fut un gros succès.

À votre ton, on dirait presque que vous le regrettez.
Il est vrai que je regrette un peu le côté western de Cartouche. Le thème était très beau ; cet homme à qui tout réussit trop bien, ce victorieux que ses victoires n’amusent plus, qui commence à s’ennuyer et qui se lance dans des aventures idiotes pour échapper à son ennui, j’aurais voulu que son histoire soit émouvante et, la fin mise à part, je l’ai traitée d’une manière trop désinvolte.

Vous vouliez faire pleurer et vous avez fait rire ?
C’est un peu cela. Je fais souvent rire malgré moi. Enfin, je veux dire que mes films sont drôles parce que, au bout du compte, je suis incapable de m’exprimer autrement. Si on ne fait pas rire, on doit convaincre ou émouvoir. Convaincre, c’est bien gentil, mais comme je ne suis moi-même convaincu de rien… Quant à émouvoir, il faut un diable de talent pour y arriver. « Raconter de belles histoires et faire rire en même temps sans nuire à leur beauté, voilà mon rêve »

Vous m’avez reçu aux studios de Boulogne ; préparez-vous un autre film ?
Il est déjà commencé. C’est une adaptation d’un roman d’André Couteau intitulé Un Monsieur de compagnie, qu’interpréteront Jean-Pierre Cassel, Orson Welles, Paul Meurisse, Sandra Millo et Jean-Pierre Marielle. [Welles et Millo ne tourneront finalement pas le film]

Quel en est le sujet ?
L’histoire d’un garçon qui ne fiche rien dans la vie. Une éloge de la paresse.


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