Tintin à Rio

L’influence des albums de Tintin par Hergé est manifeste dans L’Homme Rio et Les Tribulations d’un Chinois en Chine, et même revendiquée par Philippe de Broca.

« Je devais faire un Tintin que j’ai abandonné parce que je trouvais idiot de transformer cette bande dessinée en film avec des acteurs, et le film s’est fait sans moi » raconte Philippe de Broca à propos de Tintin et le Mystère de la toison d’or, la première adaptation live des aventures de l’intrépide reporter. Ce projet va tout de même lui mettre en tête de faire un film d’aventures à la manière d’Hergé. « C’est un moment où j’ai eu envie de faire des films en imaginant ce que j’aurais aimé voir quand j’avais douze ans, un âge où l’on vit dans un monde d’aventures, où l’on se met sur un canapé qui devient le dos d’un chameau ou un traîneau à chiens. » Un voyage à Rio en 1962 pour promouvoir Cartouche convainc De Broca de tourner son histoire au Brésil. Mais quelle histoire ? Au producteur Alexandre Mnouchkine, il se contente de dire : « Nous allons faire un film à Rio. Belmondo sera en costume blanc, il descendra de l’avion et il lui arrivera plein d’aventures ! »

L’écriture du scénario de L’Homme de Rio se révèle difficile. De Broca commence avec Ariane Mnouchkine, puis fait intervenir Jean-Paul Rappeneau, pour terminer avec Daniel Boulanger. « Nous avions vraiment tout : les Indiens, les fléchettes, une fille emmerdeuse, un type qui lui court après, une intrigue très compliquée. Mais il nous manquait la base même. Finalement, la base c’est ce type qui a une permission de huit jours. Ça a été le déclic. » Le soldat Adrien Dufourquet (Jean-Paul Belmondo) profite de sa semaine de liberté pour rendre visite à sa fiancée Agnès (Françoise Dorléac). Au même moment, une statuette maltèque est dérobée au Musée de l’Homme et le professeur Catalan (Jean Servais) est enlevé. S’ensuivront de rocambolesques péripéties qui amèneront le jeune couple jusqu’à Rio et Brasilia.

Le film regorge de clins d’œil à Hergé. Le vol de la statuette renvoie d’abord à celui du fétiche Arumbaya au musée ethnographique, dans L’Oreille cassée. Le plan du voleur en imper et chapeau s’approchant de l’objet est même une citation directe (page 1, case 8). Puis, on trouve l’un des thèmes des 7 Boules de cristal, où une malédiction frappait les membres de l’expédition Sanders-Hardmuth, à leur retour du Pérou et de Bolivie. Dans L’Homme de Rio, trois scientifiques ont ramené chacun une statuette de leur exploration en Amazonie. La mort de l’un d’entre eux puis l’enlèvement d’un second ne permettent plus de douter qu’une véritable malédiction s’est abattue sur eux.

Il s’avérera en réalité que le professeur Catalan est derrière tout cela car il convoite un trésor. Ce qui fait lourdement penser aux agissements d’Anton Karabine dans… Tintin et le mystère de la toison d’or, tout comme la photo des amis d’autrefois n’est pas sans rappeler le cliché des « révolutionnaires » en une du journal du Tetaragua. Une autre référence au film est la présence, dans le rôle du médecin légiste au Musée de l’Homme, de l’acteur Max Elloy, l’interprète de Nestor !

Belmondo se retrouve suspendu au dessus d’un crocodile comme dans Tintin au Congo ou passe d’une fenêtre à l’autre d’un immeuble comme dans Tintin en Amérique. Enfin, c’est au Secret de la Licorne qu’il est indubitablement fait référence. Dans l’album d’Hergé, un petit parchemin se trouve dans le mât de trois maquettes de la « Licorne », bateau jadis commandé par l’ancêtre du capitaine Haddock. En superposant les trois bouts de papier, Tintin découvre la latitude et la longitude qui conduiront à l’épave du navire, où doit se trouver un trésor. Le professeur Catalan suit la même démarche, après avoir découvert les parchemins contenus dans chacune des statuettes.

L’Homme de Rio est un film réjouissant qui inaugure un nouveau type de héros d’aventure, « un héros plus drôle que Tintin » selon Philippe de Broca, « un Tintin à qui la gouaille et l’insolence seraient venus en même temps que le poil au menton » écrit le journaliste Jean de Baroncelli. Le public et la critique prennent un plaisir immense à ce « film de Tintin sans Tintin ». Pour Jean-Louis Bory, il s’agit même du « vrai Tintin, (du) merveilleux Tintin, et non (de) la triste chose essoufflée pseudo cinématographique où l’on retrouvait la Toison d’or »… Hergé appréciera énormément L’Homme de Rio qu’il considérera comme le véritable équivalent de ses albums.

Tintin en Chine

En 1965, les producteurs Alexandre Mnouchkine et Georges Dancigers demandent à Philippe de Broca de remettre le couvert. « J’ai donc enclenché la vitesse supérieure : j’ai pris la plus belle fille du monde, les paysages les plus exotiques, j’en ai encore rajouté dans le chapeau. » Les Tribulations d’un Chinois en Chine s’inspire (vaguement) d’un roman de Jules Verne mais il est évident qu’Hergé est de nouveau la source principale.

Dans une course-poursuite ininterrompue où Belmondo, milliardaire n’ayant plus goût à la vie, échappe à des tueurs imaginaires puis bien réels, les couleurs sont vives et les situations périlleuses. Toute la partie dans l’Himalaya s’inspire de l’ambiance de Tintin au Tibet (la montagne, le monastère bouddhiste, les références au yéti) mais aussi de petites scènes (la traversée de la ville à toute allure pour rejoindre l’aéroport, Paul Préboist faisant arrêter le taxi pour récupérer sa casquette). Le plan de Belmondo et Jean Rochefort glissant sur une paroi neigeuse rend hommage à la scène du Temple du soleil ; les personnages qui se réfugient dans des cercueils, en pleine mer, renvoient aux sarcophages des Cigares du pharaon ; et l’épisode révolutionnaire fait penser à L’Oreille cassée.

Avec son gilet jaune rayé de noir, sa dignité et sa serviabilité, Léon (Jean Rochefort) est un cousin germain de Nestor. Quant à l’adjudant Cornac (Paul Préboist) et au sergent Roquentin (Mario David), ils marchent sur les traces de Dupondt, multipliant continuellement les gaffes et tombant à l’eau sans raison. Or, ces deux derniers figurent dans le roman, sous les noms de Craig et Fry, et seraient selon les auteurs de Tintin chez Jules Verne (Michel Deligne et Jean-Paul Tomasi, Lefrancq, 1998), les modèles des Dupondt pour Hergé. La boucle est bouclée.

« C’est Tintin mis en scène par Mack Sennett, lit-on dans La Croix, c’est L’Homme de Rio en chinois, c’est un album de dessins, animés par de vrais acteurs. » Le film va cependant un peu moins marcher que le précédent. De Broca reconnaît lui-même qu’il a voulu trop en faire. Il est vrai que l’on assiste à une succession de scènes spectaculaires et exotiques, sans réels personnages et sans véritable histoire.

L’Homme de Rio et Les Tribulations d’un Chinois en Chine sont distribués avec succès aux États-Unis par United Artists sous les titres de That Man from Rio et Up to His Ears. Le sénateur Robert Kennedy dira du premier film qu’il ne s’est jamais autant amusé au cinéma, provoquant un quasi-phénomène de société. Parmi les nombreux spectateurs figure un certain Steven Spielberg…

 

Texte extrait de Tintin, Hergé et le cinéma de Philippe Lombard (Democratic Books, 2011)