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« Un ami, deux Broca » par François Truffaut

« Un ami, deux Broca »
par François Truffaut

En 1958, il n’était pas facile de s’improviser metteur en scène ! Pour avoir, syndicalement, le droit de réaliser un film, on devait avoir suivi trois stages, été trois fois second assistant et trois fois premier. Ayant seulement réalisé deux court-métrages dont l’un en 16 mm, il me fallut comparaître, avant d’entreprendre Les Quatre cents coups, devant une Commission Syndicale réunie au Centre National du Cinéma.

– Qui avez-vous choisi comme superviseur technique ?
– Personne…
– Alors nous ne pouvons pas vous donner l’autorisation de tournage.
– Oh !
– Qui aviez-vous pressenti comme assistant ?
– Philippe de Broca.
– Ah, c’est différent. Si vous avez le concours de Philippe de Broca, effectivement vous n’avez pas besoin de superviseur.

Des le premier jour de tournage, les événements allaient donner raison aux juges de la Commission Syndicale. Alors que je me prenais les pieds dans tous les câbles électriques, que je me collais le viseur dans le mauvais œil et par le mauvais bout, Philippe de Broca avec une compétence pleine d’entrain, m’aidait à concrétiser mes abstractions, me faisait soupeser les avantages et les inconvénients de chaque décision et m’amenait en douceur, sans jamais faire étalage de sa science, à tourner des plans susceptibles ultérieurement de se succéder correctement à l’écran.

Une scène du scénario des 400 coups prévoyait de montrer Antoine et René, les deux copains, confectionnant du caramel en faisant fondre du sucre qu’ils laissaient se répandre, liquide, sur une cheminée de marbre. Ensuite, pour détacher les flaques de caramel solidifié, les deux enfants attaqueraient le marbre à l’aide d’un bronze d’art représentant un cheval. Un jour, pendant la préparation du film, Philippe vient me trouver et me dit : « à propos du cheval, j’ai trouvé quelque chose, pas exactement ce qui était prévu, mais tout de même, j’aimerais te montrer. » Il m’amène devant un magasin d’antiquités, sur les quais de la Seine et me désigne, à travers la vitrine, un cheval grandeur nature, empaillé. Philippe semblait tellement ravi de sa trouvaille – et j’ai été moi-même si épaté – que nous avons transformé la scène prévue et que nous avons loué le cheval -grandeur -nature, pour deux semaines, en l’intégrant temps bien que mal au scénario.

Ayant sacrifié au vice bien agréable qui consiste à parler de soi lorsqu’on est censé faire l’éloge d’un confrère, je vais à présent énumérer les films de Philippe que je préfère : Les Jeux de l’AmourL’Amant de cinq joursL’Homme de RioLe Roi de CœurLe Diable par la queueLa Poudre d’escampetteTendre pouletLa Cuisse de Jupiter, mais je dois avouer ici que je n’ai pas vu l’œuvre complète de mon ami, gardant ainsi en réserve quelques belles soirées où se mêleront surprise et nostalgie. Lorsque je rencontre mon vieux complice et que je lui dis : « je suis désolé d’avoir manqué ton dernier film » il me répond, malicieux et modeste : « moi aussi, je suis désolé de l’avoir manqué ! »

Artiste pudique au point de ne jamais prononcer le mot « art », Philippe est un poète de la dérision, un poète réticent, celui dont on dit dans la cour de récréation de communale :

« Il fait des vers
Sans en avoir l’air
Et de la poésie
Sans en avoir envie »

Philippe de Broca ne prise guère l’exégèse cinéphilique et ne supporte pas les discussions laborieuses. Un critique, dont le nom évoque un empereur romain, s’approche un jour de Philippe et entreprend de lui expliquer doctement pourquoi il a été déçu par son dernier film. Quand ce critique, qui est un vieil ami même s’il pousse le manque d’humour jusqu’à l’infirmité, a terminé son topo, Philippe le regarde et lui dit, en désignant ses chaussures : « Ouais, ouais, mais tout de même, j’ai de belles pompes, vous ne trouvez pas ? »

Philippe ne s’attendrit pas facilement sur les enfants, mais reconnaissons-lui le mérite d’avoir toujours su réfréner ses instincts de meurtre quand la nécessité du scénario l’oblige à flanquer un gamin devant sa caméra. Par contre, les petits vieux marrants le mettent dans un état d’euphorie incroyable et c’est sûrement dans ses films qu’on a pu voir « pour la dernière fois à l’écran » des génies comme Pierre Palau ou Lucien Raimbourg, le créateur d’En attendant Godot. Philippe les bichonne, ses vieillards pittoresques et croulants, il les entoure de mille soins et leur réserve les plus beaux gros plans, comme si, à travers eux, il se cherchait non un père comme tout un chacun mais, carrément, un grand-père.

J’écris ces lignes au moment où, comme s’ils s’étaient donnés le mot, les journalistes attaquent volontiers les metteurs en scène qui se racontent dans leur film, l’insulte la plus souvent utilisée pour les fustiger étant  « nombrilisme ». Dieu sait si Philippe de Broca n’encourt pas le reproche de verser dans l’autobiographie et pourtant on pourrait tracer un portrait de lui, simplement en alignant les titres de ses films, Le FarceurLe VeinardUn Monsieur de (bonne) compagnieLe Roi de CœurL’IncorrigibleLe Magnifique. Je n’ose me prononcer en ce qui concerne Le Cavaleur car, sur le mur de sa vie privée, de Broca n’a pas manqué d’imposer l’écriteau de Xanadu : « No trespassing ».

Dans Le Roi de Cœur, Philippe nous raconte l’histoire d’une petite ville française qui, pendant la guerre de 1914-1918, se vide de tous ses habitants. Les pensionnaires d’un asile d’aliénés font le mur et investissent la cité, prenant la place du coiffeur, du bistrot, de l’épicier, du curé, du facteur, etc. Allez savoir pourquoi, ce film, lors de sa sortie en France, en décembre 1967, fut un échec total. Pour tenter d’améliorer le box office désastreux, une journée d’exclusivité, au lendemain de Noël, fut organisée avec entrée libre dans toutes les salles, gratuité annoncée par une pleine page de publicité dans les quotidiens : bernique ! Même à l’œil, pas un chat ! Or ce même film, Le Roi de Cœur est l’un des plus grands succès français en Amérique depuis douze ans et vient de commencer une quatrième ou cinquième exclusivité à New York. Allez comprendre ! L’essentiel est qu’à l’heure de Greenwich village, le lansquenet frappe toujours à minuit.

En Amérique toujours, la télévision protectionniste comme il ne devrait pas l’être permis, cantonne les films européens sur les chaînes culturelles, les programmant en version sous-titrée, de préférence au beau milieu de la nuit. Sur les trois grandes chaînes, aux bonnes heures d’écoute, un seul film français a réussi à s’immiscer, c’est l’Homme de Rio ou Belmondo s’agite, doublé en anglais avec un accent italien qui surprend pendant la première bobine mais finalement convient parfaitement aux jeux de mains de notre super doué guignolo.

C’est donc en Amérique qu’il faut voir les films de Philippe pour en apprécier l’impact. Les étudiants aiment tellement ses films que les cinémas des campus les affichent le plus souvent en double programme comme s’ils avaient décidé de remplacer la particule de son nom par le chiffre qu’elle suggère phonétiquement : Philippe deux Broca !

Il y a quelques années, alors qu’elle venait de terminer Le Magnifique avec Belmondo, Jacqueline Bisset m’entraîna dans une salle de Los Angeles, sur Santa Monica boulevard, où l’on passait, toujours en double programme, Les Caprices de Marie et le Roi de Cœur. La salle était bourrée, chaque spectateur avait sur les genoux son gobelet de pop-corn big size qui se mange sans bruit grâce au beurre fondu qui l’amollit. Chaque image portait, chaque ligne de sous-titres fonctionnait, chaque gag faisait mouche, c’était l’ambiance rêvée. A la sortie, Jacqueline Bisset fit le meilleur compliment et je le répète ici car Philippe eut été heureux de l’entendre : « Si j’avais vu, dit-elle, les films de Philippe avant de tourner avec lui, et bien, au lieu de l’emmerder en lui demandant les motivations de mon personnage, je lui aurais foutu la paix et j’aurais joué comme une petite silhouette de dessins animés. »

Jacqueline Bisset avait raison car c’est bien du côté de Tex Avery qu’il faut chercher l’affiliation de Philippe de Broca. Comme Tom et Jerry, Philippe sait que la vie est une blague, que les bureaux sont occupés par de faux adultes qui se prennent pour des ministres, des avocats, des critiques d’art, des anarchistes, des experts comptables. Il a donc bien raison de ne jamais les filmer assis ou couchés mais cavalcadant à dix-huit images/ seconde, toujours en poursuite, toujours en fuite pour échapper à la pesanteur du monde moderne. Ce n’est pas pour rien que sa compagnie de production s’appelle Fildebroc et que, sur les vingt films qu’il a tournés, dix-huit ont été mis en musique par le plus cinéphile des musiciens, Georges Delerue car de Broca pratique la haute fidélité sur longue durée.

C’est pour tout cela que j’aime Philippe et puis, je l’aime aussi parce qu’il est heureux. La preuve ? Je ne l’ai jamais entendu dire du mal de personne.

François Truffaut, janvier 1982.

(Publié dans Le Matin du 28 février 1983) 


« Le Lutin mélancolique » par Jérôme Tonnerre

Le Lutin mélancolique
par Jérôme Tonnerre

Scénariste sur plusieurs de ses films (Chouans !Les 1001 NuitsLe Bossu), Jérôme Tonnerre
a consacré un texte à Philippe de Broca à sa disparition dans le magazine Studio.

Je retrouve ce petit mot de Philippe : « Jérôme es-tu fidèle ? Moi pas assez. Tu me manques un peu. » Lui me manque terriblement, tant il aura été présent dans ma vie, tant j’aurais été en intimité de la sienne.

J’aimerais évoquer ce lutin mélancolique, tel que je l’ai connu du moins, pour avoir travaillé avec lui durant près d’une quinzaine d’années : trois scénarios tournés, deux autres qui n’ont pas trouvé de financement et une série de projets, demeurés dans le grenier des rêves perdus (selon la formule d’Abel Gance).

Philippe n’aimait rien tant que le temps du tournage, se retrouver sur un plateau avec ses acteurs et son équipe. L’étape du scénario l’impatientait, l’exaspérait parfois. Il fallait écrire vite et allègrement, sinon, décrétait-il, ça signifie qu’on n’a pas la grâce. Formé parallèlement à l’école Sautet, j’étais plus réfléchi, plus rigoureux, moins rapide que Philippe sans doute.

Travailler avec lui, c’était vivre avec lui. Autant que le cinéma, sinon plus, comptaient les amours, les enfants, les voyages, la mer, la cuisine. Une telle perception du monde, sensuelle et généreuse, n’est pas si répandue dans nos métiers. Bien des cinéastes, me semble-t-il, se préoccupent davantage du box-office, des festivals ou des César…

Ma toute première rencontre avec Philippe date de 1979 – j’avais vingt ans. C’était à l’occasion d’un livre que souhaitait lui consacrer un groupe de cinéphiles dont je faisais partie, et pour lequel j’allais obtenir de François Truffaut une tendre préface : « Un ami, deux Broca. » Philippe nous avait reçus un soir d’hiver dans sa maison de Vert, nous régalant d’un pot-au-feu qu’il avait mitonné. Il était flatté, mais un brin surpris, que de jeunes critiques de cinéma veuillent bien le considérer comme un véritable auteur de films.

Nous allions nous retrouver en 1985, cette fois dans un cadre plus professionnel. Le producteur Maurice Illouz m’avait chaleureusement recommandé à Philippe. Celui-ci cherchait un scénariste pour remanier et amplifier le projet qui deviendrait Chouans !. J’étais peu expérimenté mais enthousiaste à l’idée de travailler avec ce cinéaste dont j’adorais les films. Je mis un zèle certain à lire en un temps record des dizaines d’ouvrages sur la Révolution et sur la chouannerie, et à rédiger un dossier de propositions scénaristiques. Philippe fut épaté, je crois. Il m’adopta parce que, disait-il, j’étais correctement habillé, ponctuel et sérieux. Sérieux comme un clergyman, ajoutait-il, suspectant que je n’étais pas très doué pour la comédie, ce qui me vexait énormément !

Malgré notre sensible différence d’âge, je me suis toujours senti plus vieux que Philippe : l’éternel jeune homme, c’était lui. L’enfant, même. Il ne tenait pas en place, dans mon bureau, en mousquetaire bondissant : « Allez, à l’attaque ! » Il faisait ici allusion au scénario qui nous occupait, mais rappelons que cet homme d’honneur et de panache avait provoqué en duel le grand Burt Lancaster, pour offense à une femme aimée…

En ces années 80, accumulant échecs professionnels et personnels, il rencontrait certaines difficultés matérielles. Chouans !, film ambitieux, devait consacrer son grand retour au cinéma, mais notre scénario avait du mal à se monter, faute de financement, d’acteurs aussi. En attendant que les choses se débloquent, nous élaborions d’autres projets, plus aisément tournables. Ainsi La Malédiction des pharaons, comédie de policière dans l’esprit de Tendre Poulet, située dans le milieu des archéologues du Louvre. Mais ces films-là ne trouvaient pas davantage preneur. Découragé, sinon amer, Philippe songeait à tout plaquer. Il avait sa licence de pilote et envisageait sérieusement d’aller faire l’avion-taxi en Afrique.

Sa vie d’alors, au creux de la vague, ressemblait à ses films : faite de bric et de broc, apparemment insouciante mais profondément désenchantée. Il était entre deux projets, deux femmes, deux appartements, mais toujours Rive gauche. Il avait passé son enfance non loin du Jardin des plantes (sous ce titre, il réaliserait pour la télévision l’un de ses meilleurs films) et les cris nocturnes des animaux encagés lui avaient donné le goût des lointains.

Pour l’heure, il transportait ici et là sa roulotte de Fracasse. Il fut logé un temps chez une dame âgée qu’il appelait sa tante, ou sa marraine, je ne sais plus. Au fond d’un vaste appartement bourgeois, boulevard saint-germain, elle hébergeait Philippe comme s’il était encore étudiant. C’est dans sa chambre spartiate que nous travaillions, lorsque nous n’en étions pas chassés par l’aspirateur de la bonne bougonne ou par la perceuse entêtante du menuisier. Nous déjeunions à heure fixe avec notre digne hôtesse, prévenus par la clochette qu’agitait la bonne. Philippe passait une cravate avant de se mettre sagement à table. Amusé et dévoué, je le suivais dans ses multiples pérégrinations, avec ma machine à écrire portative.

Sa maison de Vert, qu’il réussit toujours à sauvegarder malgré les vicissitudes, restait son véritable port d’attache. Il y connut je crois d’abominables solitudes, mais aussi et surtout le bonheur de vivre. En cette arche utopique et paradisiaque, il cultivait fruits et légumes, élevait ses enfants et toutes sortes d’animaux, supportait une bonne fantasque qu’il appelait « La Bretonne », accueillait des actrices de passage et même quelques scénaristes…

Philippe ne cessait de s’occuper de la maison et de son jardin, tout en travaillant avec moi sur le scénario. Je le revois, en mouvement perpétuel, mettant un plat à réchauffer, débitant du bois, allumant le feu de cheminée, réparant une fuite sur le tuyau d’arrosage, binant les mauvaises herbes, soignant un oiseau blessé, tandis que, cavalant après lui, je m’efforçais de lui parler de la séquence en cours. Quelque temps plus tard, redevenu père, il changerait les couches de la jeune Chloé sur la table de billard, dans la grange aménagée où nous écrivions. « Je t’écoute, je t’écoute », m’assurait-il.

De Chouans ! au Bossu, j’ai passé avec lui, auprès de lui, de merveilleux moments. Quelques uns me reviennent spontanément en mémoire : le tour en bateau du golfe du Morbihan et notre rencontre avec le recteur de l’île d’Arz ; une séance d’écriture, quasi spirite, à la bougie, dans la maison monacale de Daniel Boulanger ; l’émotion de Philippe apprenant la naissance de sa fille alors que nous sortions d’une projection aux studios de Boulogne ; un déjeuner à Vert où j’avais fait venir Yves Robert et la leçon de botanique qui s’ensuivit…

On connaît la formule « The show must go on… » Avec Philipe, le spectacle pouvait s’arrêter mais la vie continuait, débordait toujours. A Vert, un soir d’été, il demandait conseil à celle que je venais d’épouser, à propos d’une jeune femme qui faisait à nouveau battre son cœur : « Je sens que je pourrais être très heureux avec elle, mais pour combien de temps ? À votre avis, pourquoi le bonheur est-il toujours périssable ? » Ma femme ne savait trop que lui répondre. Elle voulait encore y croire… Alors Philippe vidait son verre de vieille prune et levait son regard vers la voie lactée. Il nous nommait chaque étoile, connaissant parfaitement la carte du ciel, en navigateur émérite. Son attrait pour les sciences, l’histoire, les lettres, la musique, était inextinguible. Il incarnait cette culture universelle de « l’honnête homme » telle qu’on la concevait jadis.

Philippe de Broca, Claude Sautet, Yves Robert, Jean-Paul Rappeneau, formaient, sinon un groupe artistique, au moins une amicale. Ils avaient travaillé les uns avec les autres : le couple Broca, Michelle et Philippe produisant César et Rosalie, Rappeneau co-signant le scénario de L’Homme de Rio, Sautet celui du Diable par la queue. J’ai eu la chance d’écrire pour chacun de ces metteurs en scène. La « dernière » de Philippe était souvent au coeur de nos conversations. Le sens de l’amitié était chez lui exacerbé. Mais contrebalancé par une plaisanterie maladroite, un soupçon jaloux, une remarque blessante. Tous, nous avions eu notre lot. Ainsi, me parlant d’un film dont j’étais le scénariste : « C’est quand même pas toi qui l’as écrit, c’est trop bon ! » À un intime qui s’informait plus tard de sa maladie : « Ça va t’arriver aussi, ne t’en fais pas. ». Il ne pouvait s’empêcher de dire le mot qu’il ne fallait pas, la phrase qui tue, non sans y prendre un malin plaisir.

Contrecoup de ces incartades, il déplorait d’être mal-aimé. Tiraillé constamment entre sa famille d’origine, l’aristocratie à la toiture percée, et sa famille d’adoption, celle du spectacle, il ne se sentait admis ni par les uns ni par les autres. S’il prenait volontiers la pose du réac scrogneugneu, je suis convaincu qu’il demeurait l’artiste libre, de mœurs et d’opinions.

Cousin farceur de la Nouvelle vague, il fut assistant de Truffaut et de Chabrol, il souffrait (tout en revendiquant !) d’être cantonné à la comédie dite légère. Ce n’était pas le cinéma qu’il aurait rêvé de faire, il se serait vu comme un successeur de Welles, tutoyant les splendeurs baroques. Il se flattait néanmoins de dérider ses contemporains, ce qui lui semblait tout aussi estimable. Cependant, la mélancolie affleure dans tous ses films, particulièrement dans l’un de ses plus beaux, Le Cavaleur, autoportrait à peine déguisé. À l’instar de son personnage, en quête d’un bonheur tranquille et d’amours enfin apaisées, Philippe enfouissait en lui de sombres abîmes. Il suffisait qu’il évoque certaines femmes, ou encore la guerre Algérie, pour que jaillissent une rage et une misanthropie glaçantes. Il se ressaisissait aussitôt, avec une pirouette, une plaisanterie.

Il m’avait prévenu d’emblée : « Je te préviens, je suis me fâché avec tous mes scénaristes. » Je ne l’avais pas cru : avec moi, cela n’arriverait pas. Pourtant, je ne devais pas échapper à la règle fatale. Philippe m’en voulut d’avoir formulé, sans trop de précautions je le reconnais, une série de remarques critiques (qui se voulaient constructives) à propos du premier montage du Bossu. Il interrompit dès lors toute relation entre nous. Nous étions devenus si proches – je n’ai connu une telle intimité, quasi fraternelle, avec aucun autre cinéaste – que ce silence me fut très pénible. Il finit par le rompre, peut-être était-il déjà malade, me téléphonant au matin d’un premier de l’an : « C’est Broca, bonne année. » Emu qu’il ait enfin ravalé son orgueil blessé, je l’invitai à déjeuner. « Ah non, ça va comme ça ! », rouscailla-t-il, comme s’il regrettait déjà avoir cédé à un sentiment d’amitié. Et ce fut tout jusqu’à sa mort.

Alors, mon cher Philippe, pour répondre à ta question : je suis fidèle, oui, à nos souvenirs désormais.

(Ce texte initialement paru dans le magazine Studio en janvier 2005 a été ici revu et augmenté)


Philippe de Broca par Eric Fottorino

« Fildebroc » 
par Eric Fottorino

La nouvelle est déjà presque vieille, surtout qu’il faut toujours laisser la place aux vivants. Mais on ne se résout pas à débuter la semaine sans adresser de l’autre côté d’un écran où le noir est mis un ultime salut à Philippe de Broca. Nous lui sommes redevables d’assez d’enchantements enracinés dans l’enfance et prolongés sur le tard pour feindre de l’ignorer sous prétexte que c’est lundi lendemain de Sarkozy.

Dire que le noir est mis est d’ailleurs une expression mal à propos pour évoquer le réalisateur de L’Homme de Rio, du Cavaleur, du Magnifique ou de L’Incorrigible, du Diable par la queue ou de Tendre poulet, pour citer les titres qui, spontanément, nous tournent l’esprit dans le sens de la bonne humeur et placent le sourire au beau fixe. Philippe de Broca avait assez d’autodérision pour appeler sa société de production « Fildebroc », signe qu’il avait su employer sa particule pour servir la cause des saltimbanques.

Tout ou presque a déjà été écrit sur la grâce de ce bonhomme sensible dont Jacqueline Bisset prétendait qu’il fallait jouer dans ses films « comme une petite silhouette de dessin animé ». Heureuse expression qui nous remet illico en mémoire, comme une projection intime du souvenir, Bébel galopant dans Rio, ou chinoisant en Chine, Rochefort cavalant derrière l’amour et Jean-Sébastien Bach, Noiret fuyant avec des citations grecques et Augustin le mainate une Annie Girardot plus flique que poète…

N’oublions pas non plus au générique l’ineffable Yves Montand ou un Marielle à moumoute victimes des espiègleries d’une famille désargentée menée avec maestria par l’étonnante Madeleine Renaud et sa petite-fille Marthe Keller, cette dernière très experte pour tirer le diable par la queue…

Il nous semblait avoir déjà lu un hommage de Truffaut à « Fildebroc ». On a retrouvé l’objet du délice : une chronique du Matin de Paris qui remonte à 1983, consignée avec d’autres bijoux dans Le Plaisir des yeux (« Champs » Flammarion), un recueil de chroniques truffaldiennes. L’auteur des 400 Coups, dans un texte malicieusement titré « Un ami, deux Broca », confirmait l’intuition de Jackie Bisset : « C’est bien du côté de Tex Avery qu’il faut chercher la filiation de Philippe. Comme Tom et Jerry, il sait que la vie est une blague, que les bureaux sont occupés par de faux adultes qui se prennent pour des ministres, des avocats, des critiques d’art, des   anarchistes, des expertscomptables. Il a donc bien raison de ne jamais les filmer assis ou couchés, mais cavalcadant à 18 images/seconde, toujours en poursuite, toujours en fuite pour échapper à la pesanteur du monde moderne. »

En 1967, devant l’échec retentissant de son film Le Roi de cœur, de Broca avait eu l’idée d’offrir au public une séance gratuite. Le bide devint un four, c’est-à-dire que, même gratis, les gens se rasaient autant que s’ils avaient payé ! Mais comme le rappelait Truffaut dans son texte de 1983, Le Roi de cœur fut pendant une bonne dizaine d’années un des plus grands succès du cinéma français aux Etats-Unis, signe que les Américains ont plus d’humour et de finesse qu’on ne le croirait à première vue…

Truffaut concluait en affirmant que de Broca était un homme heureux. La preuve ? Il ne l’avait jamais entendu dire de mal de personne.

Article publié dans Le Monde du 30 novembre 2004


Sur le tournage du « Diable par la queue » (vidéo)

Sur le tournage du film
Le Diable par la queue

Le 12 août 1968, la télévision française propose un reportage sur le tournage du Diable parle la queue. La sortie du film n’est prévu que pour le mois de février 1969, mais le tournage qui vient de s’achever, après avoir débuté durant les événements du mois de mai. On peut y entendre Philippe de Broca, Yves Montand, Madeleine Renaud et Maria Schell.


Jean Rochefort à propos du « Cavaleur » (vidéo)

Jean Rochefort à propos du Cavaleur

En février 1979, Jean Rochefort est en Suisse pour la promotion du Cavaleur, dans l’émission Spécial Cinéma. C’est l’occasion pour le comédien d’évoquer le film de Philippe de Broca en fin d’émission mais aussi et surtout de parler avec une certaine mélancolie, de son métier, avec une profondeur assez inhabituelle sur un plateau de télévision.


« Le Retour du Héros » : un hommage à de Broca et Rappeneau

Le Retour du Héros : un hommage à de Broca et Rappeneau

Quand on voit Le Retour du héros (2018), des images de Cartouche ou Les Mariés de l’an II nous reviennent rapidement en mémoire. Le réalisateur Laurent Tirard ne s’en cache pas, en remerciant au générique de fin deux réalisateurs qui l’ont inspiré : Philippe de Broca et Jean-Paul Rappeneau.

Il va même plus loin dans le dossier de presse en expliquant pourquoi il a eu envie de faire ce film : « Patrice Leconte me disait récemment qu’un journaliste lui avait demandé pourquoi plus personne ne faisait de films comme « Ridicule », qui a aujourd’hui 20 ans. Je suis d’accord avec ce constat, et c’était sans doute une des raisons pour lesquelles je voulais faire ce film : parce que plus personne n’en fait, et qu’en tant que spectateur, ça me manque. Clouzot (le cinéaste, pas l’inspecteur), disait du réalisateur qu’il est le premier spectateur de son film. Je pense que ma motivation profonde, quand je m’attaque à un projet, est de faire le film que j’aimerais voir mais que je ne trouve pas au cinéma. Les films en costumes, et surtout les comédies d’aventure, comme celles de Rappeneau ou de de Broca, ont fait le bonheur de générations entières de spectateurs, et ont contribué à mon envie de faire du cinéma. »


Présentation du « Diable par la queue » par Marthe Keller (vidéo)

Présentation du « Diable par la queue » par Marthe Keller

En 2015, l’actrice Marthe Keller présentait Le Diable par la queue lors de la rétrospective Philippe de Broca à la Cinémathèque française.


Jean-Pierre Cassel à propos de Philippe de Broca

Jean-Pierre Cassel à propos de Philippe de Broca

Dans son autobiographie, À mes amours (Stock, 2005), Jean-Pierre Cassel évoque sa collaboration avec Philippe de Broca.

« Philippe de Broca avait un sens inné de la comédie, un humour très personnel, un univers très original. Il connaissait très bien les acteurs, car il était un des rares à aller les voir au théâtre. Tout de suite, nous eûmes une complicité absolue. Je me rendais compte que j’étais la projection exacte de ce qu’il souhaitait montrer de lui à l’écran. Les mêmes choses nous faisaient rire. J’avais en moi la même nostalgie que celle qu’il pouvait avoir. Et nous avions en commun la même impatience. Sans doute également un petit fond de misogynie, due au départ à une grande timidité. Celle de Philippe ne s’est pas arrangée avec les années, je parle de sa misogynie (…)

Je tournai Les Jeux de l’amour dans la plus grande liberté. La presse fut dithyrambique (…)

Malheureusement, le public ne suivit pas autant que l’on aurait pu s’y attendre. L’année suivante, nous nous retrouvions pour le tournage du Farceur, Philippe et Daniel Boulanger m’avaient écrit un rôle sur mesure (…) Là encore, le film recueillit tous les suffrages de la critique, mais ne fut pas un succès commercial. (…)
Ces demi-succès ou ces semi-échecs, comme on voudra, ont sans doute beaucoup altéré mes rapports avec Philippe. En tout cas, les rapports que lui avait avec moi.

Dans les quatre films que nous avions tournés ensemble, à travers mon personnage, il se dévoilait totalement. J’étais le prolongement idéal de sa personnalité. Et malheureusement, c’étaient les films avec Belmondo qui trouvaient le succès auprès du public. Grâce au charisme de Jean-Paul, et aussi parce que les films étaient moins complexes. Philippe prenait ça comme une offense. Il se trouvait face à lui-même et il ne le supportait pas. »


Jean Rochefort à la projection du « Cavaleur » à la Cinémathèque française (vidéo)

Jean Rochefort à la projection du « Cavaleur » à la Cinémathèque française

Le 11 mai 2015, Jean Rochefort, accompagné de Jean-Paul Schwartz (chef opérateur) et de Henri Lanoë (monteur), vient présenter Le Cavaleur.


Quand Philippe de Broca faisait de la publicité avec Catherine Alric

Quand de Broca faisait de la publicité avec Catherine Alric…

En 1974, Philippe de Broca réalise une publicité pour la marque Flodor. Ce tournage pourrait n’être qu’anecdotique dans la carrière du réalisateur s’il n’avait pas rencontré alors Catherine Alric, qui deviendra sa compagne et qu’il dirigera dans L’Incorrigible, Le Cavaleur, Tendre Poulet et On a volé la cuisse de Jupiter.

Pour l’émission Cinescope de la RTBF, Catherine Alric racontait en 1984 cette rencontre et ce premier tournage.

« J’étais étudiante avec tout ce que cela comporte de rêves.. J’avais envie de faire plein de choses, du théâtre du cinéma.. Et en même temps, c’était le miroir aux alouettes pour moi. J’avais l’impression que jamais je n’y arriverai. Et parallèlement à ça j’étais mannequin, et ça a très vite très bien marché. J’ai fait une vingtaine de films publicitaires, j’ai donc beaucoup voyagé. Je suis allée au Mexique, en Afrique, en Espagne. Et j’ai fait ces films avec de grands metteurs en scène dont de Broca.

Ça a été une coïncidence, un coup de hasard, il m’a choisi parmi cent mannequins. Je suis parti avec lui pour faire ce film sur les chips Flodor. C’était très drôle car on a tourné ça à Acapulco, pendant quinze jours. Le matin, on tournait dans une superbe demeure magnifique de milliardaire, avec une piscine immense qui dominait complètement la baie d’Acapulco… le paradis. Tous les clients étaient là, l’agence publicitaire.. Et le film s’est tourné en une demi-journée. Ils étaient fous de rage. Parce que Philippe est quelqu’un de très rapide, de très déterminé. Il sait exactement ce qu’il fait. Ça n’a vraiment pris qu’une demi-journée. Après, on ne savait plus trop quoi faire. On a voyagé, on a visité le Mexique. On a vraiment fait du tourisme. »


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