Thomas Croisière : « Chez de Broca, il y a une vraie ambition »
Thomas Croisière : « Chez de Broca, il y a une vraie ambition »
Chroniqueur sur France Inter dans l’émission C’est encore nous où il parle régulièrement des films qui ont marqué sa vie, Thomas Croisière parle aussi de cinéma sur scène dans le spectacle Voyage en comédie. Ce « passeur » revient pour le site sur son rapport à l’œuvre de Philippe de Broca.
Vous évoquez souvent sur France Inter et dans votre spectacle les films qui ont marqué votre vie. Est-ce par nostalgie ?
Non, je ne suis pas du tout dans le « c’était mieux avant ». Le cinéma est vraiment pour moi une passion. Je regarde des films depuis toujours, beaucoup, avec plaisir et de toutes sortes. Et j’adore en montrer certains, les partager, comme L’Affaire Thomas Crown ou Certains l’aiment chaud. Il y a vraiment des films qui méritent d’être vus et revus. Je pense que la culture nous réunit. Et depuis que je suis papa, il y a l’idée de la transmission. Je transmets énormément de ce que je suis en montrant des films à mes enfants, depuis qu’ils sont tout petits. Chaque dimanche soir, on se fait deux cartoons de Tex Avery, comme au bon vieux temps de La Dernière Séance, et on mange devant un film. Ça va de Dumb et Dumber au Napoléon d’Abel Gance. Pendant le confinement, je les ai fait participer à ma chronique sur France Inter et ils ont vu notamment Les Tribulations d’un Chinois en Chine, qu’ils ont adoré.
Que vous inspire l’évocation du nom de Philippe de Broca ?
Cela m’évoque un très grand réalisateur qui a su faire de la grande comédie d’aventures populaire. Pour moi, Philippe de Broca c’est avant tout ça, car gamin, j’ai découvert Les Tribulations d’un Chinois en Chine et L’Homme de Rio avec un grand plaisir. Après, quand on vieillit, on découvre des films comme Le Cavaleur, qu’on ne comprend pas à quinze ans mais qu’on peut apprécier à quarante ans, quand on a un peu vécu. D’ailleurs, c’est un film qui est aussi un marqueur dans la vie de de Broca, à travers lequel il parle de lui et de son propre vieillissement, ce qui, dans ces métiers-là d’artiste et d’auteur, est quelque chose de compliqué à assumer.
Donc, de la comédie d’aventures populaire, mais pas que. Et de ce que j’en connais, et de ce que j’en vois de loin, il avait une certaine classe, une belle façon de parler du cinéma… Physiquement, il y a quelque chose de Cassel quand il est jeune, quelque chose de Rochefort quand il fait Le Cavaleur. Il avait des avatars dans ses films. C’est amusant de voir un homme attaché à ses acteurs et vieillir avec eux. Je pense qu’il y a là quelque chose de profondément humain. On trouve chez lui à la fois une pudeur et quelque chose de très impudique. Fondamentalement, j’ai l’impression que dans ses films, il parle de lui, beaucoup. C’est très nombriliste, en fait. Là où d’autres réalisateurs ne le faisaient pas forcément. Tavernier n’avait pas le même rapport au cinéma, par exemple, il racontait des histoires, il ne parlait pas de lui. Un de Broca ou un Sautet utilisent le média pour partager ce qu’ils sont, ce qu’ils font, leurs névroses, leurs centres d’intérêt, leurs plaisirs comme leurs déplaisirs. Quand vous tournez beaucoup, comme de Broca mais aussi comme Truffaut ou comme Ozon aujourd’hui, vous ne faites pas que des films réussis. Mais dans chacun, il y a quelque chose d’eux.
Il fait partie des grands réalisateurs du cinéma français. J’aime bien parler de ces gens-là, j’aime bien montrer leurs films à mes enfants. Je ne sais pas si je leur montrerai Le Roi de cœur, je ne sais pas s’ils le comprendront mais je pense qu’un jour je le ferai. C’est un film très étonnant que j’aime énormément. Ce qui est plaisant chez de Broca, c’est que c’est un vrai réalisateur. Et aujourd’hui, le fait qu’on ne tourne plus en pellicule, beaucoup en numérique, pousse de plus en plus les réalisateurs à multiplier les angles et à se dire « ça, on verra en post-prod ». Ils n’ont pas réellement de point de vue. Et ce que je trouve intéressant chez des gens comme de Broca, c’est qu’il y a une vraie ambition de réalisation, de contenu, de construction graphique…
De Broca a été traumatisé par ce qu’il a pu voir pendant la guerre d’Algérie, ce qui l’a décidé à se tourner vers la légèreté, la comédie…
Oui, on sent qu’il y a une envie de divertissement, tout est très rapide dans son cinéma. Il y a toujours une petite mélancolie, c’est pas des comédies de Philippe Lacheau ou Philippe Clair. Il y a un côté très humain, racé. C’est un peu l’élégance du désespoir, d’une certaine mesure.
Une tendresse pour Le Magnifique ?
Le Magnifique est un film culte pour à peu près tout le monde. « Vous plaisez aux femmes ? Je ne sais pas » (rires) Entre le film de requins, le film de mariachis, le film-dans-le-film, la mise en abyme, l’opposition auteur-création et puis Jacqueline Bisset qui est la plus belle femme du cinéma à ce moment-là… C’est marrant de se dire que le film a 50 ans, qu’il appartient à la même époque que L’aventure c’est l’aventure. Je ne dirais pas qu’il n’a pas pris une ride, mais il est toujours aussi fou. Sans Le Magnifique, il n’y a pas OSS 117. J’ai acheté le 33 tours de la musique du film à la vente aux enchères de vinyles de Radio France. À la disparition de Claude Bolling, j’avais fait un petit papier sur lui à l’antenne.
Vous parlez d’ailleurs souvent de la musique des films que vous chroniquez. De Broca a beaucoup travaillé avec Georges Delerue…
Oui, il avait une grande fidélité, comme Claude Lelouch avec Francis Lai. Delerue était le grand compositeur de la Nouvelle Vague. Et de Broca n’en était pas loin, d’ailleurs, il les connaissait tous, il a été le premier assistant de Claude Chabrol et François Truffaut. Quand on voit qu’il a travaillé par la suite avec Michel Audiard qui a été honni par tout ce mouvement, il y a là quelqu’un de curieux qui mélange plein de choses.
Avez-vous vu un film de de Broca au cinéma ?
J’ai vu Chouans !. C’était bien parce que ça racontait l’Histoire, des périodes que je ne connaissais pas… J’ai aussi un chouette souvenir des 1001 Nuits, que j’ai vu à la télé en deux soirées, il me semble. J’ai des images de Jugnot et Lhermitte en plein désert…
Merci à l’équipe du site d’entretenir l’œuvre de de Broca qui mérite d’être (re)découverte.
Propos recueillis par Philippe Lombard

Photo : Nicolas Seurot


La chronique de Thomas Croisière sur L’Homme de Rio sur France Inter
Nouveau doc sur de Broca : itw du réalisateur
Interview de Jérôme Wybon à propos du doc « Philippe de Broca
ou l’art de la mélancolie »
Jérôme Wybon a réalisé le documentaire Philippe de Broca ou l’art de la mélancolie, actuellement diffusé sur Ciné+ (le 24 décembre à 12h05 et en replay), et nous parle de sa conception.
Comment est né ce documentaire ? En avez-vous été à l’origine ?
Ce projet est arrivé comme une conclusion à un long travail effectué sur l’œuvre de Philippe de Broca, commencé dans les années 2000, lorsque j’ai fait différents bonus dvd / Blu-Ray sur onze de ses films, de Cartouche au Bossu, en passant par L’Homme de Rio, Le Cavaleur ou Le Roi de cœur. Avec ce documentaire, j’ai l’impression de boucler la boucle.
Vous avez rencontré Philippe de Broca. À quelle occasion ? Et quelles impressions en gardez-vous ?
Je l’ai croisé durant l’été qui a suivi la sortie d’Amazone. Je travaillais pour Studiocanal sur les sorties du Magnifique et de l’Incorrigible dans la toute nouvelle collection dvd consacrée à Jean-Paul Belmondo. Seul Peur sur la ville était sorti alors. Je me souviens très bien d’avoir appelé Philippe de Broca pour lui proposer d’enregistrer un commentaire audio sur ces deux films. Je lui avais expliqué le principe alors totalement inédit en France, et Bertrand Tavernier enregistrait au même moment le premier commentaire audio d’un réalisateur français, pour La Fille de D’Artagnan. Philippe de Broca ne voulait pas parler seul, donc je l’ai accompagné dans cet exercice.
Que vouliez-vous raconter ? Quel était votre angle ?
Si j’ai pu documenter le tournage de plusieurs de ses films par le passé, je voulais ici m’intéresser davantage à son univers, à sa vie, ses relations et son regard sur les femmes, son enfance. Et, bien sûr, ses amitiés avec Jean-Paul Rappeneau, Alexandre Mnouchkine, Henri Lanoë, Philippe Noiret et Jean-Paul Belmondo.
Avez-vous fait des découvertes, avez-vous trouvé des documents inédits ?
Il y a plusieurs archives que je connaissais mais que je n’avais pas utilisé jusqu’ici comme les essais filmés de Marthe Keller pour Le Diable par la queue, ou cette séquence très touchante où Georges Delerue joue le magnifique thème de Chère Louise au piano, en présence de Philippe de Broca.
Qui avez-vous interviewé pour ce documentaire ?
Il y a d’abord la sœur de Philippe, Françoise, qui nous a quittés il y a quelques mois, Catherine Alric, Alexandra de Broca, le chef-opérateur Pierre Lhomme, le réalisateur Jean-Paul Rappeneau, le cameraman Yves Agostini, le monteur Henri Lanoë, la journaliste Guillemette Odicino, Bernard Payen de la Cinémathèque française. Et bien sûr, il y a Philippe de Broca via des images d’archives. L’idée était de faire dialoguer Philippe de Broca et tous ses intervenants sur une série de thèmes ou d’extraits de ses films.
Qu’aimez-vous dans l’œuvre de de Broca ?
J’aime le passage de la comédie au drame, sa mélancolie qu’on retrouve par exemple dans la seconde partie du Cavaleur. Et j’aime sa drôlerie comme avec le duo improbable de Tendre Poulet, ou les aventures de cet auteur un peu raté qu’est François Merlin et qui tombe amoureux de sa voisine de palier. J’aime ces personnages du quotidien qui vivent ensuite de folles aventures.
Quels seraient vos films préférés ?
Le Cavaleur en premier, sorte d’autoportrait du réalisateur, Le Magnifique, qui est la quintessence de l’amitié entre Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo. Et en dernier, Le Bossu, où il retrouve le style et le souffle des films de ses débuts.

« Le Roi de Cœur » par Sandrine Bonnaire (vidéo)
« Le Roi de Cœur » par Sandrine Bonnaire
Invitée dans Passage des Arts sur France 5 le 15 janvier 2020, Sandrine Bonnaire a parlé de l’un de ses films préférés, Le Roi de cœur, avec beaucoup de pertinence et d’émotion. Elle l’avait déjà évoqué sur France Inter dans l’émission de France Inter Remède à la mélancolie (à partir de 9mn30).
Philippe de Broca par Eric Fottorino
« Fildebroc »
par Eric Fottorino
La nouvelle est déjà presque vieille, surtout qu’il faut toujours laisser la place aux vivants. Mais on ne se résout pas à débuter la semaine sans adresser de l’autre côté d’un écran où le noir est mis un ultime salut à Philippe de Broca. Nous lui sommes redevables d’assez d’enchantements enracinés dans l’enfance et prolongés sur le tard pour feindre de l’ignorer sous prétexte que c’est lundi lendemain de Sarkozy.
Dire que le noir est mis est d’ailleurs une expression mal à propos pour évoquer le réalisateur de L’Homme de Rio, du Cavaleur, du Magnifique ou de L’Incorrigible, du Diable par la queue ou de Tendre poulet, pour citer les titres qui, spontanément, nous tournent l’esprit dans le sens de la bonne humeur et placent le sourire au beau fixe. Philippe de Broca avait assez d’autodérision pour appeler sa société de production « Fildebroc », signe qu’il avait su employer sa particule pour servir la cause des saltimbanques.
Tout ou presque a déjà été écrit sur la grâce de ce bonhomme sensible dont Jacqueline Bisset prétendait qu’il fallait jouer dans ses films « comme une petite silhouette de dessin animé ». Heureuse expression qui nous remet illico en mémoire, comme une projection intime du souvenir, Bébel galopant dans Rio, ou chinoisant en Chine, Rochefort cavalant derrière l’amour et Jean-Sébastien Bach, Noiret fuyant avec des citations grecques et Augustin le mainate une Annie Girardot plus flique que poète…
N’oublions pas non plus au générique l’ineffable Yves Montand ou un Marielle à moumoute victimes des espiègleries d’une famille désargentée menée avec maestria par l’étonnante Madeleine Renaud et sa petite-fille Marthe Keller, cette dernière très experte pour tirer le diable par la queue…
Il nous semblait avoir déjà lu un hommage de Truffaut à « Fildebroc ». On a retrouvé l’objet du délice : une chronique du Matin de Paris qui remonte à 1983, consignée avec d’autres bijoux dans Le Plaisir des yeux (« Champs » Flammarion), un recueil de chroniques truffaldiennes. L’auteur des 400 Coups, dans un texte malicieusement titré « Un ami, deux Broca », confirmait l’intuition de Jackie Bisset : « C’est bien du côté de Tex Avery qu’il faut chercher la filiation de Philippe. Comme Tom et Jerry, il sait que la vie est une blague, que les bureaux sont occupés par de faux adultes qui se prennent pour des ministres, des avocats, des critiques d’art, des anarchistes, des expertscomptables. Il a donc bien raison de ne jamais les filmer assis ou couchés, mais cavalcadant à 18 images/seconde, toujours en poursuite, toujours en fuite pour échapper à la pesanteur du monde moderne. »
En 1967, devant l’échec retentissant de son film Le Roi de cœur, de Broca avait eu l’idée d’offrir au public une séance gratuite. Le bide devint un four, c’est-à-dire que, même gratis, les gens se rasaient autant que s’ils avaient payé ! Mais comme le rappelait Truffaut dans son texte de 1983, Le Roi de cœur fut pendant une bonne dizaine d’années un des plus grands succès du cinéma français aux Etats-Unis, signe que les Américains ont plus d’humour et de finesse qu’on ne le croirait à première vue…
Truffaut concluait en affirmant que de Broca était un homme heureux. La preuve ? Il ne l’avait jamais entendu dire de mal de personne.
Article publié dans Le Monde du 30 novembre 2004

« Le Retour du Héros » : un hommage à de Broca et Rappeneau
Le Retour du Héros : un hommage à de Broca et Rappeneau
Quand on voit Le Retour du héros (2018), des images de Cartouche ou Les Mariés de l’an II nous reviennent rapidement en mémoire. Le réalisateur Laurent Tirard ne s’en cache pas, en remerciant au générique de fin deux réalisateurs qui l’ont inspiré : Philippe de Broca et Jean-Paul Rappeneau.
Il va même plus loin dans le dossier de presse en expliquant pourquoi il a eu envie de faire ce film : « Patrice Leconte me disait récemment qu’un journaliste lui avait demandé pourquoi plus personne ne faisait de films comme « Ridicule », qui a aujourd’hui 20 ans. Je suis d’accord avec ce constat, et c’était sans doute une des raisons pour lesquelles je voulais faire ce film : parce que plus personne n’en fait, et qu’en tant que spectateur, ça me manque. Clouzot (le cinéaste, pas l’inspecteur), disait du réalisateur qu’il est le premier spectateur de son film. Je pense que ma motivation profonde, quand je m’attaque à un projet, est de faire le film que j’aimerais voir mais que je ne trouve pas au cinéma. Les films en costumes, et surtout les comédies d’aventure, comme celles de Rappeneau ou de de Broca, ont fait le bonheur de générations entières de spectateurs, et ont contribué à mon envie de faire du cinéma. »
« Le Roi de cœur » par le réalisateur Roger Avary
Le Roi de Cœur
par le réalisateur Roger Avary

Interrogé par Les Inrockuptibles en 2014, le cinéaste Roger Avary (Killing Zoe, Lucky Day) a placé Le Roi de cœur en troisième position de ses films français préférés. Selon lui, il représente « le regard le plus juste sur le monde, et sans doute la seule influence majeure sur ma vision politique. On pourrait imaginer que Terry Gilliam fasse un remake de ce film, sauf que l’original de de Broca est déjà parfait. »
Dans le mêle classement, le réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho (The Host, Snowpiercer, Parasite) place L’Homme de Rio en dixième position.
Yann Moix à propos de Belmondo chez Philippe de Broca
Belmondo chez de Broca
par Yann Moix
Dans Le Point du 27 octobre 2016, le romancier Yann Moix compare le Belmondo de Jean-Pierre Melville à celui de de Broca : « Chez Melville, Belmondo s’ennuie davantage, son physique ne tient plus en place ; son corps, trop statique, n’en peut plus. On imagine à chaque plan, notamment dans Léon Morin, prêtre, qu’il va arracher sa soutane, et hurler un tonitruant « merde ». Il est corseté ; il est empêché. C’est un Bébel à l’étouffée. Chez de Broca, il reprend sa liberté, c’est un Jean-Paul qui respire, sans personne pour le dompter ou lui lancer des cacahouètes ; il s’arrache au texte, son corps reprend de la voix. L’Homme de Rio et Les Tribulations d’un Chinois en Chine qui sont les ancêtres d’Itinéraire d’un enfant gâté sont les meilleurs films de ce Marsupilami humain ».
